mercredi 20 août 2025

Liturgie de la célébration du Jubilé de Sœur Jean-Baptiste (Suite)

 Accueil et homélie de Mgr Joseph de Metz-Noblat

Mot d’accueil

C’est avec une joie particulière que nous nous retrouvons ce midi, pour chanter ensemble la gloire de Dieu et rendre grâce pour cinquante années de profession monastique de Sœur Jean-Baptiste.
Je ne suis pas l’évêque de Namur, (rires) certains pourraient le croire. Pour ceux qui ne me connaîtraient pas, je suis Mgr Joseph de Metz-Noblat, évêque de Langres, en France. Il s’avère que Sœur Jean-Baptiste et moi nous nous connaissons depuis presque quarante-cinq ans. Elle m’a connu, jeune séminariste, assistant à la vie de l’Abbaye d’Oriocourt, participant aux offices, du temps de feue Mère Jeanne d’Arc, qui repose ici, si mes souvenirs sont exacts, et pour laquelle nous avons évidemment une petite prière. Et quand j’ai été ensuite ordonné prêtre, j’ai pris l’habitude de venir régulièrement à l’Abbaye d’Oriocourt pour une journée de désert. Le désert porte fruit, d’ailleurs nous savons que c’est cela à quoi la vie monastique nous appelle, car elle est une vie au désert, nous l’entendrons d’ailleurs tout à l’heure dans la première lecture. 
Rendre grâce pour cinquante années, c’est regarder bien sûr tout ce qui a été beau durant ce temps, mais c’est aussi reconnaître la pauvreté de notre existence. Nous ne pouvons pas tenir dans la vie humaine, dans la vie chrétienne, dans la vie monastique, nous ne pouvons pas tenir sans la force même de Dieu. Bien au-delà de nos mérites, c’est le Seigneur qui nous donne la capacité de la fidélité. 
Voilà pourquoi au début de cette célébration nous nous tournons humblement vers Lui pour demander sa miséricorde, afin que, par le don de son amour, il nous stimule encore, jusqu’à la fin de nos jours, dans cette fidélité.

Homélie

Je suis sûr que vous entendez régulièrement cette réflexion, à propos de la vie religieuse : des sœurs infirmières, oui, des sœurs enseignantes, pourquoi pas, mais des moniales, à quoi ça sert ? Combien de fois, entend-on ainsi le bon peuple se poser de graves questions sur l’utilité d’une vie monastique.
Et voilà que les lectures que nous avons entendues donnent le sens au mot. Dans le livre d’Osée : « mon épouse, je vais la conduire au désert, et je lui parlerai au cœur ». L’épouse, c’est l’épouse de Dieu, le peuple de Dieu, c’est l’Église. L’épouse, c’est aussi chaque âme en particulier, chaque fidèle. Et puis plus particulièrement, il y a cet appel à une vie dans le désert, qui est une vie consacrée. En fait, ceux qui bénéficient de cet appel portent l’ensemble de l’Église. Et, en portant l’ensemble de l’Église, ils permettent à toute l’Église de comprendre ce cœur à cœur avec le Seigneur.
La célèbre instruction (1) Cor Orans, que vous connaissez par cœur, mes sœurs, dans laquelle il y a deux trois paragraphes qui sont excellents, le reste étant peut-être un peu trop juridique, dit : « La vie des moniales contemplatives, engagées dans la prière d’une manière très spéciale, afin de garder le cœur constamment tourné vers le Seigneur, dans l’ascèse et dans le fervent progrès de la vie spirituelle, n’est rien d’autre qu’une tension constante vers la Jérusalem céleste, une anticipation de l’Église eschatologique, dirigée vers la possession et la contemplation du visage de Dieu. La communauté d’un monastère de moniales, placée comme une ville au sommet d’une montagne, et comme une lampe sur un lampadaire, quoique dans la simplicité de sa vie, représente visiblement le but vers lequel marche toute la communauté ecclésiale. Ardente dans l’action et consacrée dans la contemplation, elle avance, sur les chemins d’aujourd’hui, les yeux fixés sur la récapitulation future de tout dans le Christ. (2) »

Nous l’avons entendu, dans le livre d’Osée et dans la lettre de saint Paul, qui nous disait encore : « recherchez les réalités d’en haut ».  Cela nous dépasse complètement. Il faut bien reconnaître que ce n’est pas par nos propres moyens, que nous sommes capables de vivre une telle orientation. Je vous le disais à l’instant en nous préparant dans la célébration pénitentielle, que seul le don de Dieu nous permet de vivre une telle disposition du cœur. Seul le don de Dieu nous permet de réaliser que nous ne la vivons pas d’abord pour nous, mais que c’est pour toute l’Église que nous la vivons. Seul le don de Dieu nous permet de comprendre que, à travers l’Église, c’est le monde entier qui est orienté vers le Père. Et qu’ainsi il y a comme une imbrication des différents étages de notre existence, qui nous entraîne à vivre cette contemplation, ce face à face. Il nous est bon de nous en souvenir de manière à ne pas, à un moment ou à un autre, tomber dans l’acédie ou dans une forme de routine, car nous savons très bien que vivre au même endroit pendant des années, cela peut conduire à une forme de routine. Raviver sans cesse l’appel de Dieu, c’est réentendre cet appel à nouveaux frais.

Et voilà qu’un jubilé est l’occasion pour nous de réentendre cet appel. Même si nous sommes de simples fidèles, nous comprenons que cet appel s’adresse à tous ; le monde entier est appelé à rentrer dans la contemplation de la face de Dieu. D’ailleurs le psaume (3) le demande : « mon âme a soif du Dieu vivant, quand le verrais-je face à face ? » Mais si tout le monde est appelé, quelques-uns, quelques-unes vont le montrer déjà en anticipation.
Vivre dans l’eschatologie n’est jamais tout de même quelque chose de facile, parce que, à la fois, nous devons garder les pieds sur terre et avoir le cœur dans le ciel.
Heureusement, il y a la vie communautaire. La vie communautaire est une grâce… ou une épreuve. On sait bien que la vie communautaire, mais dans une famille aussi, dans toute famille, la vie familiale n’est jamais un petit nuage, mais au contraire, elle est le lieu à la fois d’amour, d’affection et parfois de grandes tensions malheureusement. En fait la vie monastique prend bien son sens dans cette vie communautaire qui en est le support. Et vous, mes sœurs, vous avez la grâce, la chance, de bénéficier de la Règle que votre père saint Benoît vous a laissée. Saint Benoît, dont on connaît l’expérience fructueuse, a permis que la finalité de la vie contemplative puisse être concrétisée dans la manière de vivre en commun. 

Cinquante ans de profession. Sœur Jean-Baptiste, vous pouvez vous réjouir évidemment de ces cinquante années passées. Peut-être sont-elles passées plus vite que vous ne le pensiez. Je ne sais pas quel était votre état d’esprit il y a cinquante ans quand vous avez prononcé les premiers vœux en disant au Seigneur : « Me voici ». C’est vrai que, quand on a vingt ans, cinquante ans cela paraît très, très loin ; et puis, cinquante ans après, on se dit que c’était avant-hier seulement. 
Ces cinquante ans n’ont pas été cinquante ans sur un petit nuage. Il y a eu, certes, des grands temps, des temps de grâces, des moments forts, qui vous ont permis, vous ont relancée sans cesse dans cette fidélité au Seigneur. Et puis il y a eu des temps d’épreuve. Je pense que votre abbatiat n’a pas été si simple que cela. Je fais une petite parenthèse à propos du pape : je ne sais pas si vous avez vu (ici certainement pas, mais les fidèles) le film « Conclave (4) ». Dans ce film, on a l’impression que tous les cardinaux n’ont qu’une envie, c’est de devenir pape ! Je peux vous dire que les cardinaux, ils n’ont qu’une envie, c’est que l’autre devienne pape, et que celui qui est choisi, il se dit : « mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour qu’il m’arrive une chose pareille ?! » De fait, dans les responsabilités qui nous incombent, nous pouvons nous demander : « qu’est-ce que j’ai bien fait au Bon Dieu ? » Justement, c’est Lui, c’est encore Lui qui nous permet de vivre la fidélité et d’assumer la responsabilité qui est la nôtre, avec les faiblesses humaines. Il y a d’ailleurs, et il faudrait la re-méditer, la belle lettre d’Aelred de Rievaux, sa prière, au moment où il a été élu comme abbé. Il y dit, en substance : « mais Seigneur, qu’est-ce qu’il t’a pris ? Ou tu veux mon malheur, ou tu veux le leur. Donc, puisque, ils m’ont choisi comme abbé, eh bien, c’est Toi le sera ! » Et il a cette très belle formule : « Apprends-moi à partager les faiblesses des faibles… » Il faut reprendre aussi les recommandations de saint Benoît dans sa Règle, sur la manière de se tenir de l’abbé. 

Donc un moment de joie et d’épreuve. Puis, il y a eu pour vous, Sœur Jean-Baptiste, cette rude épreuve qu’a été la décision de devoir fermer la communauté d’Oriocourt, et qui reste, effectivement, toujours un souvenir difficile. Mais, le grain de blé, pour produire du fruit doit mourir. Et là, vous êtes entrée vraiment dans la compréhension de la Passion du Seigneur et de sa Résurrection. Car la Résurrection n’est pas la réanimation, n’est pas même la réincarnation. Souvent nous confondons. Spontanément, nous espérons que ce qui meurt va reprendre vie comme c’était avant. Or, la vie de ressuscité que nous propose le Christ est une vie qui est transcendée, une vie en esprit dans le Seigneur. La résurrection, ça n’est pas simplement le fait d’avoir retrouvé un peu de monde, ou même de s’être transplanté, c’est la mort totale à soi-même, pour entrer dans la Vie. Et c’est ce que vous avez appris, là, dans cette épreuve qu’a été la fermeture ; peut-être aussi continuez-vous à l’apprendre. Et chacun de nous a à comprendre que c’est dans l’abandon de soi que nous trouvons la véritable vie. « Celui qui veut garder sa vie la perdra, celui qui la perd à cause de moi et de l’Évangile, la trouvera. (5) »

Longue, longue entrée, mais, rassurez-vous… Alors que saint Antoine, fondateur de la vie monastique, mort centenaire, s’apprêtait à passer de vie à trépas, un des moines qui étaient là lui dit : « père, tu peux t’en aller tranquillement. » Saint Antoine a répondu : « Ah non, c’est dommage, je commençais seulement à me convertir ».
Alors, puisse plaire à Dieu, Sœur Jean-Baptiste, que, avec autant de vie dans le désert que saint Antoine, vous puissiez aussi dire : « je commençais seulement à me convertir ». Parce que finalement c’est un long chemin. Je m’arrête simplement en citant Sœur Geneviève Gallois dans sa célèbre Vie du petit saint Placide, à propos de la prière : « Prier, dit le Seigneur, c’est passer ta vie à passer dans la mienne »

Nous avons demandé, dans la prière d’ouverture, que sa vie devienne la vôtre. Il y a une osmose qui se fait petit à petit. En fait, quand notre vie sera totalement prise dans la sienne, nous ne nous en rendrons même pas compte, tellement nous serons dans sa joie.
Alors finalement, à quoi servent les moniales ? Ce que nous pouvons bien sûr répondre à ceux qui vous entourent : l’utilité des moniales n’est pas une utilité matérielle, elle vient d’utilité profonde, spirituelle, car grâce à la vie monastique, nous anticipons déjà la joie en Dieu. Malgré les faiblesses, malgré les bassesses, malgré tout ce qui fait notre humanité de chair et de sang, voilà que nous sommes tous appelés à entrer dans la plénitude. Le chemin que vous nous montrez, mes Sœurs, le chemin que vous nous montrez, Sœur Jean-Baptiste plus particulièrement en ce jour, au bout de cinquante ans de vie monastique, est un chemin qui descend ; car nous savons que l’échelle des moines, n’est pas une échelle qui monte, mais c’est l’échelle de l’humilité, c’est donc une échelle qui descend. Que ce chemin nous stimule dans notre propre désir de conversion. Que nous aussi nous puissions rendre grâce, en prenant sur nous le joug que le Christ nous donne. Nous irons allègrement : son joug est en effet facile à porter et son fardeau léger. Amen.

------------------------------------------------------------

(1) Instruction de la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et pour les Sociétés de vie apostolique sur la vie contemplative féminine (Pâques 2018)
(2) Instruction Cor orans §§ 158 et 159
(3) Psaume 41/42, 3
(4) Film d’Edward Berger, sorti en France le 4 décembre 2024
(5) Marc 8, 35

Aucun commentaire: