mercredi 17 février 2021

Liturgie de la Parole - mercredi des cendres

 (sœur Myrèse)

 Joël 2,12-18 ; Ps 50 ; 2 Co 5,20-6,2 ; Mt 6,1-6.16-18

 Nous avons donc quitté le temps ordinaire pour entrer en Carême. Saint Benoît nous dit qu’en tout temps, notre vie devrait être aussi observante qu’en Carême[1]. Alors rassurez-vous, ne nous plaignez pas, car Benoît présente aussi vite le carême non comme un temps de peine, mais comme l’attente de Pâque dans la joie du désir spirituel. Une attente active, durant laquelle il nous invite à réparer toutes les négligences des autres temps. Négligences… c'est-à-dire ? Je ne vais pas ici entamer le débat sur l’étymologie des mots religion et négligence, mais j’aime cette lecture des deux termes en opposition, telle que la propose Michel Serres[2] : religion, ce qui relie et négligence, ce qui casse le lien.

Réparer les négligences, c’est donc recréer le lien… et avec cette pandémie, il y a bien urgence de ce côté !

Entrer en carême, c’est alors retisser nos relations, avec Dieu et donc forcément avec les autres, en qui nous pouvons rencontrer le visage de Jésus ressuscité.

La lecture du livre de Joël nous invite effectivement à revenir au Seigneur, pour qu’il revienne à nous. Oui, il ne s’impose pas à nous. Il viendra à notre rencontre si nous l’invitons, si nous ôtons de nos vies tout ce qui s’oppose à sa venue. Joël nous dit que le Seigneur notre Dieu est tendresse et miséricorde, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. Comment revenir à un tel Dieu ? Sinon en choisissant de vivre comme lui, au niveau du cœur : déchirez votre cœur, nous dit le prophète, c'est-à-dire : permettez-lui de vivre, de s’épancher, ne l’enfermez pas ! ne le confinez pas ! Changez votre cœur de pierre en cœur de chair. Qu’il soit vraiment tout ouverture, amour, tendresse et miséricorde.

Impossible par nous-même ? Alors nous demandons avec le psaume: Pitié pour moi, Seigneur : appel à une relation restaurée. Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis mon esprit.  Une relation cordiale !

Saint Paul, nous supplie : laissez-vous réconcilier avec Dieu. C’est bien de relation qu’il s’agit, se laisser réconcilier avec Dieu.

Et l’Évangile, comment nous propose-t-il de réparer ce qui serait négligence ? Il nous presse d’enlever nos masques, nos vanités, nos glorioles : évitez d’agir pour vous faire remarquer. Tu fais l’aumône ? Surtout continue, mais que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite. Sois préoccupé de celui à la rencontre de qui tu vas, ne te regarde pas allant à la rencontre, car alors il n’y a pas rencontre, mais fermeture sur toi, il n’y a pas reliance, mais déliance, négligence. Le mot grec qui signifie aumône signifie d’abord et avant tout : compassion et miséricorde. Il est a rattaché à la compassion même de Dieu. C’est la même qualité de relation que t’a offerte le Seigneur, que tu offres à ton tour, à ton frère. Et si la gloire te tente... rappelle-toi, ce mot aumône traduit l’hébreu tsedâqâ... c'est-à-dire justice ! En faisant l’aumône tu rétablis la justice sur terre, tu rends au pauvre ce qui lui appartient et qui se trouvait par erreur en ta possession. L’aumône : une relation nouvelle en lieu et place de la négligence.

Quand tu pries, ne sois pas comme ceux qui se donnent en spectacle : tu pries, très bien, surtout continue, mais prie vraiment c'est-à-dire, sois tout attention à Dieu, sois vraiment religieux et non négligeant.

Tu jeûnes ? bien ! Mais ne prends pas un air abattu, comme ceux qui se donnent en spectacle. Pourquoi jeûner ? Ce n’est pas par souci de ta ligne ou de la performance, ni pour être reconnu comme super ascète. Tu jeûnes, pour ouvrir en toi le désir, et faire participer tout ton être à ce désir. Attendre la Pâque dans la joie du désir spirituel propose st Benoît. Hâter le jour de la rencontre, le jour du salut, par ton désir… alors parfume-toi la tête ! Tu vas à la rencontre de ton bien-aimé, alors fais-le accourir : parfume-toi la tête, que le Père en te voyant, respire en toi la bonne odeur du Christ[3]. Il court à ta rencontre, pour t’embrasser, et de te revêtir de son salut[4].

Les cendres nous disent notre désir de réduire en poussière nos négligences, que l’huile parfumée nous donne de nous élancer à la rencontre du Seigneur Ressuscité qui aujourd’hui nous appelle.



[1] toutes les citations de la RB viennent du chapitre 49

[2] Voir par exemple : Michel Serres, Statues, Flammarion, Champs, p. 47. : Le religieux [est] ce qui nous rassemble ou relie en exigeant de nous une attention collective sans relâche telle que la première négligence de notre part nous menace de disparition. (...) Cette définition mélange les deux origines probables du mot religion, la racine positive de l'acte de relier avec la négative, par l'inverse de négliger.

[3] 2 Co 2,15

[4] cf Lc 15

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