(soeur Marie-Raphaël)
Ouverture
« Où est Abel, ton frère ? » « Je
ne sais pas : est-ce que je suis, moi, le gardien de mon
frère ? ».
Qu’est-ce que la fraternité humaine ? Suffit-il
d’être nés des mêmes parents pour être frères, sœurs ? Nous voici au
chapitre 4 du livre de la Genèse, et la question se pose d’emblée de façon
dramatique. Au moment où Dieu lui pose cette question, on dirait que Caïn n’a
jamais pensé au fait qu’être le frère d’Abel impliquait des devoirs envers lui.
Les liens de fraternité sont d’ailleurs problématiques dès le départ, ne fut-ce
que par les prénoms que leur mère leur donne. Caïn pourrait se traduire
« possession, acquisition », et Abel « insignifiance » … Mais le
problème n’est pas une fatalité. Même si le récit se termine mal, il y a un
détail qui pose l’espérance au cœur du mal. C’est ce que nous verrons, mais
commençons par chanter la beauté de la Loi de Dieu à travers le psaume 118.
Résonances
« Pour le mettre à l’épreuve, ils cherchaient à
obtenir de lui un signe venant du ciel… ». Il n’est pas dit que Jésus le
leur refuse, il est écrit que Jésus soupire en disant : « aucun ne
signe ne sera donné à cette génération » … Ce n’est pas une condamnation, c’est
juste un douloureux constat qui fait soupirer Jésus. Aucun signe ne leur sera
donné, parce qu’ils ne sont pas prêts à le recevoir, à le lire, à le
comprendre. Jésus ne peut pas donner de signe à ceux qui le lui demandent pour
le mettre à l’épreuve, il ne peut donner de signe qu’a ceux qui l’accueillent
déjà par la foi. Et il ne donne pas d’autre signe que celui qui est déjà
donné : il est tout entier, par sa présence, l’image du Père, l’image de
Dieu.
Dans le texte de la Genèse, il est aussi question d’un
douloureux constat et d’un signe. Le douloureux constat, c’est que le sang
d’Abel que Caïn a versé va se retourner contre lui. La spirale de la violence
que Caïn a déclenchée va s’amplifier bien vite exponentiellement. À la
troisième génération, celle de son petit-fils Lamek, elle aura déjà pris la
vitesse 7. Puis viendra le déluge, cette tentative de Dieu d’effacer toute la
violence et de recommencer à zéro, ou presque. Mais Dieu s’en repentira et
changera son fusil d’épaule, pardon, il déposera son arc. Il donnera à Noé les
lignes directives de l’alliance, en évoquant la question du sang versé,
précisément : « Quant au sang, votre principe de vie, j’en demanderai
compte à tout animal et j’en demanderai compte à tout homme ; à chacun, je
demanderai compte de la vie de l’homme, son frère » (Gn 9, 5).
Quand Dieu permettra à Noé et à ses descendants de se nourrir de la chair des
animaux, il ajoutera clairement cet interdit du meurtre, en précisant que tout
homme que l’on tue est un frère.
Le signe que Dieu met sur Caïn « pour le
préserver d’être tué par le premier venu ». Est-ce un signe de
protection ? Un signe un peu magique comme l’était le sang sur les
montants des portes des fils d’Israël au moment de leur sortie d’Egypte ? je
ne crois pas. Le signe que Dieu met sur Caïn, c’est une réponse à la
malédiction de la spirale de la violence. Cette réponse est un refus de la
fatalité ! Le signe que Dieu met sur Caïn signifie qu’un salut est
possible. Car je fais l’hypothèse que ce signe, c’est le signe de la
fraternité, le signe que chaque homme est frère, puisque créé comme moi à
l’image de Dieu.
Dans le document d’Abu Dhabi, le pape François et le
grand Iman Ahmad Al-Tayyeb ont déclaré ensemble : « Dieu a créé tous
les êtres humains égaux en droits, en devoir et en dignité, et les a appelés à
coexister comme des frères entre eux ».
Alors, quand Dieu me posera la question :
« Où est ton frère Abel ? », qu’il me donne de discerner sa
propre image dans chacun de ceux qu’il me confie par les croisements de la vie,
qu’il me donne de répondre : « si tu le veux, Seigneur, aide-moi à
être gardien de mon frère et donne-lui aussi d’être pour moi un gardien ».
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