samedi 9 janvier 2021

Célébration de la Parole samedi après l'Épiphanie

 soeur Samuel

"Il faut qu'il croisse!" Jn 3,22-30 (Père Jean Lévêque ocd)

Voilà Jean le Baptiste parvenu au grand tournant de sa vie. Depuis de longs mois il était l'homme en vue au pays d'Israël, celui qui attirait les foules, celui qui retournait le cœur des croyants. Tout l'accréditait comme un prophète venu de Dieu: l'authenticité de sa vie aux confins du désert, la force de sa parole, courageuse et équilibrée à la fois, le succès du mouvement de renouveau spirituel et moral qu'il avait lancé au bord du Jourdain. Et voilà qu'on lui demande de prendre position face à Jésus, contre Jésus. Pour ceux qui viennent le consulter, tout se résume, en effet, dans un conflit d'influence; et il n'imaginent pas une minute que Jean, avec le tempérament qu'on lui connaît, puisse se laisser faire, se laisser déposséder de son audience et de sa mission.

La première réponse de Jean met tout de suite les choses au point: une mission n'est pas une tâche que l'on se donne à soi-même, mais une responsabilité de salut que l'on reçoit de Dieu: "Un homme ne peut rien recevoir, si cela ne lui a été donné du ciel". Au-delà de la situation particulière de Précurseur, les paroles du Baptiste viennent clarifier et purifier nos propres attitudes. Nous n'avons, nous aussi, que ce qui nous a été donné du ciel. De même, et surtout, l'appel que nous avons reçu ne nous appartient pas. Ce n'est pas nous, en définitive, qui choisissons la maladie ou la santé, la renommée ou l'enfouissement, la rentabilité ou le service obscur. Notre forte conviction de tenir en mains un vrai projet de sainteté, une visée évangélique pour notre vie, pourrait nous faire oublier que nous ne sommes pas propriétaires des grâces que Dieu nous fait, même si notre liberté essaie d'y répondre à plein. Quant la réussite spirituelle nous colle au doigt, quand nous mettons notre assurance dans le déjà vécu, quand notre propre visée spirituelle ou apostolique nous rend allergiques ou intolérants, nous cessons d'être des précurseurs de Jésus, et déjà nous n'annonçons plus que nous-mêmes. 

Or il faut sans cesse nous redire - et c'est un deuxième élément dans la réponse du Baptiste: "Je suis envoyé devant Jésus". Envoyé devant, avec toute l'insécurité que cela suppose. Derrière nous, il n'y a plus de recours, plus de refuge, plus de repos, hormis Jésus qui nous envoie. C'est dire que Jésus n'a pas besoin de notre influence, mais de notre transparence. Comme c'est lui qui sait et lui qui réalise par la force de l'Esprit, il est tout à fait secondaire que nous ayons en mains, nous, des instruments efficaces et puissants. Ce qui lui importe surtout, c'est notre légèreté, car nous sommes envoyés, et envoyés devant lui. Oui, Dieu ne jauge pas notre vie à la quantité des œuvres de nos mains ou de notre esprit, car ce qui lui permet de travailler avec puissance, c'est de trouver des cœurs libres, qui ne pèsent plus sur les choses et les êtres, des "cœurs  brisés" qui ont rempli d'amour toute brisure, des cœurs sereins qui ont remis à Dieu toute impatience.

C'est pourquoi il faut laisser à Dieu le temps et le rythme, et laisser le Christ improviser sa musique sur la cithare de notre vie. Il faut le laisser prendre le relais quand il veut, dans notre vie personnelle et communautaire. C'est à ce prix que ne deviendrons ses amis, non plus seulement des serviteurs, mais des amis en attitude de service, des "amis de l'époux", comme disait le Baptiste, des amis envoyés au-devant pour préparer la joie des noces, pour assurer la joie de l'époux et de l'épouse, la joie du Christ en son Église. Notre joie à nous, celle que le Christ nous propose, à travers la personne du Baptiste, c'est la joie de ceux qui travaillent au bonheur des autres, jusqu'au moment où ce bonheur éclot, et qui s'en vont alors, sur la pointe des pieds, au-devant d'un autre service, au service d'une autre rencontre.

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