(sœur Marie-Raphaël)
Ouverture
« Oui, mon peuple a commis un double
méfait : ils m’ont abandonné, moi, la source d’eau vive, et ils se sont
creusé des citernes, des citernes fissurées qui ne retiennent pas
l’eau ! » (Jr 2, 13)
« Ils regardent sans regarder, ils écoutent sans
écouter ni comprendre… le cœur de ce peuple s’est alourdi, ils sont devenus
durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux… »
Les paroles des prophètes sont rudes : paroles de
Jérémie dans la première lecture, paroles d’Isaïe citées par Jésus dans
l’évangile. Comment est-ce que nous écoutons / regardons ? Le message de
Dieu parvient-il à toucher nos cœurs pour les convertir, ou reste-t-il quelque
part à la surface des choses ?
Si Jésus parle en paraboles, ce n’est pas parce qu’il
ne veut pas qu’on comprenne, c’est au contraire parce qu’il sait, en fin
psychologue, que les images et les histoires racontées pénètrent dans notre
intelligence beaucoup plus facilement que les concepts abstraits. Et les
premières paraboles qu’il raconte portent précisément sur le fait de parler en
paraboles, sur la difficulté d’écouter vraiment. Rendons-nous disponibles en
chantant les Psaumes.
Résonances
Voici une parabole pour aujourd’hui. Dans le film
« Lunana », Ugyen, le jeune maître d’école venant de la ville dans la
vallée est envoyé contre son gré pour enseigner dans un petit village à plus de
5000 mètres d’altitude. Lui, il ne rêve que d’une chose : devenir un
chanteur à succès et faire carrière en Australie. La musique qu’il connaît est
la musique pop, rythmée, répétitive, électronique, qui sature les radios
populaires. Il s’y accroche le plus longtemps possible. Pendant la rude montée
sur les flancs de l’Himalaya, insensible à la beauté qui l’entoure, il garde le
casque audio vissé sur ses oreilles. Mais soudain, il n’y a plus de réseau. La
musique grésille, puis disparaît. Un grand silence l’entoure, vide, éprouvant.
Désespéré, il enlève le casque et marche en titubant. Puis, soudain, le silence
est déchiré par le chant d’un oiseau : un chant puissant. Le compagnon
d’Ugyen lui dit : « cet oiseau est le premier à chanter au printemps.
Dès que nous l’entendons, nous avons le cœur en fête ». Ugyen continue à
marcher en prenant conscience des bruits de la nature qui l’entoure. Le vent dans
les branches, les bruissements, les frôlements, les cris d’animaux : le
silence se remplit de sons ! Lors d’une étape au bivouac, ses compagnons
de montée fredonnent un chant et il en est tout étonné : « vous
aussi, vous savez chanter ? ». Il tend l’oreille à ce chant nouveau,
sobre, simple, profond. Arrivé au village, il fait la connaissance d’une jeune
femme qui chante le chant des yacks (dont j’ai parlé lundi). Ce chant va le
réconcilier peu à peu avec sa situation. Il finit par prendre goût à son
travail de maître d’école, il enseigne en chantant. Un jour, il fait venir du
matériel scolaire et sa guitare. Il met sa guitare et son talent au service du
chant des villageois, et la joie explose dans une danse où participent petits
et grands.
La fin du film est remarquable. Quand vient l’hiver,
Ugyen redescend dans la vallée, gardant au cœur, comme une blessure, la mémoire
du chant très pur de là-haut. Il descend au plus bas, au niveau de la mer, et
s’embauche en Australie, dans un pub, comme musicien. Son rôle est d’assurer
une sorte de bruit de fond que les gens n’écoutent même pas, mais qui fait
partie du décor. Un brouhaha l’entoure : du boucan. Que se passe-t-il dans
son cœur ? Soudain, il s’arrête de jouer. Il se fait un grand silence dans
le vaste restaurant. Les gens sont surpris, fâchés de ne plus avoir leur bruit
de fond sonore. Puis, il y a quelques secondes de suspens qui semblent très
longues. Tout le monde écoute : que va-t-il se passer ? Alors, Ugyen
ouvre son cœur et sa mémoire et, du fond de lui-même, laisse monter le chant de
la montagne, le chant des yacks, le chant du bonheur simple et de la vie
véritable.
Celui qui a des oreilles, qu’il entende !
Prière
Seigneur, en toi est la source de vie. Par ta lumière,
nous voyons la lumière. Heureux les yeux qui voient ! Heureuses les
oreilles qui entendent et les cœurs qui comprennent ! Libère-nous du
brouhaha intérieur qui nous empêche d’entendre ta parole ; confronte-nous
au vrai silence et rends-nous attentifs au chant qui monte des profondeurs. Ne
cesse pas de chanter sur le monde ton chant de miséricorde, de grâce et de
paix.
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