(sœur Marie-Raphaël)
Ouverture
« Venez à moi ! venez manger de mon pain et boire
le vin que j’ai préparés pour vous ! » Ainsi parle la Sagesse dans
plusieurs livres sapientiaux. « Venez à moi », dit Jésus. En parlant
ainsi, il s’identifie à la Sagesse. Dans l’évangile de Matthieu, Jésus se
présente comme un maître de sagesse qui nous invite à son école. Saint Benoît
aussi nous relance en écho des paroles de sagesse : « venez, mes
fils, écoutez-moi, que je vous enseigne la crainte du Seigneur ». Il nous
invite à avoir un cœur de disciple pour « entrer dans l’école du service
du Seigneur ». Comme Jésus, il nous propose un joug : pas un joug dur
et pesant, mais un joug tout de même. Une ligne de vie, une sagesse dont le
maître-mot est « douceur ». L’évangile de ce jour est très bref, mais
il contient, comme un noyau, une puissance nucléaire…
Résonances
Approchez-vous de moi, vous qui n’avez pas
d’instruction, prenez place dans mon école. Pourquoi dire que vous manquez de
sagesse ? Pourquoi vos âmes ont-elles si grande soif ? […] Placez
votre cou sous le joug et recevez l’instruction. On la trouve tout près de soi.
Constatez-le de vos yeux : en prenant peu de peine, j’ai trouvé beaucoup
de repos. Si 51, 23-27
L’image du joug, dans l’AT, c’est une image de la Loi,
mais plus encore de la sagesse. C’est-à-dire la Loi qui est sagesse. La
Loi qui n’est pas un carcan rigide du permis / défendu, mais un chemin où
s’exerce, pas à pas, le discernement de la sagesse pour correspondre à l’esprit
de Dieu : ce que la Bible appelle la justice, la droiture.
Is 26,7 : Il est droit, le chemin du juste.
Toi qui es droit, tu aplanis le sentier du juste.
Mais tout de même, je le trouve un peu provocant, ce
Jésus, quand il nous dit : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous
le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos ». Alors que nous
savons pertinemment que la suite du Christ n’a rien de reposant. Comme il le
dit lui-même : le Fils de l’homme n’a pas où reposer la tête… Comment
comprendre ce paradoxe ? De quel repos parle-t-il ? Et de quel
joug ?
Je vois trois pistes. La première piste, c’est de ne
pas oublier que nous sommes dans l’évangile de Mt, cet évangile qui est le plus
dur à l’égard des Pharisiens, ces « hypocrites ». Plus loin, au
chapitre 23, Mt fera dire à Jésus une longue invective contre les Pharisiens
qui « attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et
qui en chargent les épaules des gens » (Mt 23,4). C’est donc bien par
rapport à eux, par rapport à leur façon de présenter les exigences de la Loi,
que Jésus se pose en maître dont le fardeau est léger et facile à
porter. Mais Jésus n’est pas un hypocrite en disant cela, il ne cache pas
que son chemin à lui passe par une porte étroite, par le chas d’une aiguille…
Deuxième piste : le sens du mot traduit ici par facile
à porter (chrèstos). La variété des traductions va dans beaucoup de
sens différents : le latin a traduit « suave », en français on
trouve : mon joug est doux, commode, aisé, utile…
Ce mot est construit sur une racine grecque très
courante, qui parcourt plusieurs pages du dictionnaire. Il y a avant tout
l’idée de quelque chose dont on se sert, quelque chose d’utile, de nécessaire,
qui est de bonne qualité, pratique, dont on peut se servir, dont on a besoin.
Le joug de Jésus, le chemin qu’il propose, est un « bon joug »,
c’est-à-dire un joug de bonne qualité (comme on dit : « du bon vin,
un bon choix, celui qui convient »). Et souvent je me dis cela : même si le
fardeau du quotidien est parfois lourd et fatigant, il est léger à partir du
moment où il a du sens, à partir du moment où on voit la valeur de ce qu’on
fait. Travailler pour rien, c’est décourageant. Les multiples pinailleries de
l’observance pharisaïque sont pénibles, parce qu’on n’en voit pas le sens. Mais
les 36000 petits gestes d’amour qu’une maman pose au quotidien pour le bien de
son enfant, cela a du sens, et du coup, cela paraît léger. Léger, parce qu’en
permanence guidé par l’amour. Le joug de Jésus est « bon » parce qu’il
est « utile », parce que, en lui, nous ne sommes pas des casseurs de
pierres, mais des bâtisseurs de cathédrales.
La troisième piste m’est suggérée par la première
lecture. « Seigneur, tu nous assures la paix. En toutes nos œuvres, toi-même,
agis pour nous » (Is 26,12). Le joug (qui a donné le mot conjugal),
c’est un instrument qui permet de porter le fardeau à deux, de porter ensemble.
Sans rien changer au poids objectif du fardeau, le joug rend le fardeau plus
léger, plus facile à porter. Il permet de porter ensemble. Jésus met son bras
sur notre épaule pour porter avec nous. Et soudain, tout semble
possible. Le prophète a conscience que c’est Dieu qui mène à bonne fin tout ce
que nous entreprenons. « Dans toutes nos œuvres, toi-même, agis pour
nous ». N’est-ce pas ce que saint Benoît suggère au début du prologue :
« demandons-lui, par une très instante prière, de mener à bon port toute
œuvre bonne que nous entreprenons. »
Prière
Dieu notre Père, en Jésus tu nous donnes un maître
doux et humble de cœur. Crée en nous un cœur de disciples, heureux de porter le
joug de la sagesse. Dans ce monde agité par tant de combats inutiles,
apprends-nous à discerner la bonté de ta Loi et aide-nous à l’accomplir.
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