mercredi 31 mars 2021

Liturgie de la Parole, mercredi saint

 (Raymond)

Introduction :  Tendresse de Dieu

Certains jours plus que d’autres j’entends les cris du psalmiste;  les cris de tant d’hommes et de femmes en pleine détresse morale et physique.

J’en ai vraiment assez de ce monde où sont rejetés les plus déshérités, où l’on piétine les aigris, les ratés, ceux à qui l’on n’a pas su apprendre à aimer. Judas qu’as-tu donc à me dire ce soir ? J’entends tes déceptions, tes désillusions, tes principes bafoués, ton envie de liberté. De quoi as-tu donc rêvé ? 

Idées craquelées, temps de l’angoisse, lieux de la nuit, j’accepte de t’écouter, de te rejoindre dans tes questions mille fois posées. 

Bonté partagée, Tendresse exprimée, Pardon sans cesse donné, Amour aux mille facettes raconté pour embraser le monde, cela n’a pas suffit à te combler !

Aujourd’hui je sens ton cœur palpiter, vaciller dans ce vide insoupçonné. Ton rêve s’est écroulé et tu crois ta vie brisée. Ce soir tu parles, tu me parles et tu pleures.           

Dernier assaut de ma tendresse pour toi, du lieu de ces souffrances qui te taraudent, je dépose ma vie sur une croix.

Une main fébrile t’entraîne de l’autre côté, je te sens peu sécurisé, seul, abandonné. Dans l’obscurité j’éclaire ta nuit, je crois pour toi, je reste avec toi. Je suis venu pour te sauver.

 Commentaire :

Difficile de ne pas entendre résonner en nous cette parole de Jésus alors qu’il était à table avec les Douze : « Amen, je vous le dis : l’un de vous va me livrer. »

Je vais sans doute en étonner quelques-uns(e)s : j’aime beaucoup Judas.  C’est un véritable frère, miroir de notre humanité, fragile à l’extrême.  Ce n’est sans doute pas un hasard si je suis  plongé au cœur de cette précarité la plus profonde et cela m’invite à regarder ce qui se passe à l’intérieur de moi plutôt qu’à écouter ce qui se dit à l’extérieur !

La personne humaine est un profond mystère mais il y a quelque chose qui est révélé dans notre identité personnelle et collective. Je dis collective parce qu’à force d’interagir, nous finissons par construire des identités collectives… d’où cette intuition profonde à ne pas me départir de Judas.

Je vous propose quelques pistes de réflexions qui permettent de rester en lien avec Judas et tous ceux et celles que nous jugeons infréquentables et foncièrement mauvais. Pour ce faire j’aimerais aborder très succinctement la question de la liberté, puis de la conscience et de la responsabilité par rapport aux  actes que nous posons. Une prise de conscience des principes de base qui évitent de tomber dans le jugement et les raccourcis faciles :

-          La liberté : Jésus ne fait pas le tri.  «Viens, et suis-moi» est une invitation adressée à tous, sans restriction. Je n’ai pas l’impression que Jésus ait attiré à lui des disciples en fonction de leur capacité. Non. C’est une adhésion personnelle libre et gratuite. Ce que nous appelons ‘’libre-arbitre’’ est une découverte chrétienne défini comme capacité à dire « non » à Dieu et donc d’être à la source radicale de nos actes. La liberté est une présence à soi et c’est pour cette raison qu’elle est une conscience morale acculée à se demander ce qui est bon pour soi et pour les autres. Nous sommes dotés d’une capacité à résister aux influences extérieures.

 La Conscience : Jésus adresse un dernier appel à la conscience de Judas : « l’un d’entre vous me livrera ». Je ne parle ici que de cette voix intérieure qui nous approuve quand nous faisons le bien et nous condamne quand nous faisons le mal. Nous disons « J’ai agi en conscience ».  Cette conscience morale nous appelle à vivre avec droiture. En fonction de ce que je viens de vous dire, vous comprenez qu’il est toujours possible d’agir contre sa conscience puisque nous sommes dotés du libre-arbitre ! Les disciples se sont regardés l’un l’autre, remplis de tristesse : « Serait-ce moi ? »  En visitant leur cœur, ils ont dû penser qu’ils en étaient tous capables. Ainsi est le cœur de l’homme dans ses recoins ténébreux ; ainsi est le nôtre.

 Les actes : Tout cela va s’exprimer dans nos actes, bons ou mauvais.  L’objet de l’acte posé par Judas est de livrer Jésus. C’est ce qu’il va faire mais est-ce la pointe de son intention. Son intention est au-delà du baiser donné à Jésus.  Qui peut dire l’intention profonde de Judas ? Lui seul la connaît.  Bien sûr nous connaissons l’histoire et nous pouvons faire des projections mais est-ce pour autant que cela correspond réellement à l’intention de Judas ?   D’ailleurs, écoutez ce qui est dit plus loin : « Judas qui l’avait livré, voyant qu’il avait été condamné, fut pris de remords et rapporta les trente pièces d’argent aux grands-prêtres et aux anciens : « J’ai péché dit-il en livrant un sang innocent ».

Il faut donc une grande prudence dans les jugements que nous portons les uns sur les autres.  Cela implique une confiance en l’autre.  Je ne connais ses intentions que par ce qu’il veut bien m’en dire, s’il dit quelque chose, et je dois lui faire confiance.

 La responsabilité : Bien sûr, on ne peut pas passer outre de notre propre responsabilité par rapport aux actes que nous posons. Je suis responsable parce que je suis libre.  Notre responsabilité porte à la fois sur soi, sur les autres et sur le monde environnant.

Le monde où vivent les criminels est notre monde.  Nous pouvons tous devenir des criminels.  Nous ne sommes pas tous capables de tout mais nous sommes chacun capable de telle forme particulière de crime.  Nous n’avons pas tous commis de grandes atrocités mais nous avons tous commis de petites lâchetés quotidiennes.  Nos mini lâchetés du quotidien nous font déjà complices. Il est facile de se classer soi-même parmi les ‘’purs’’ assurés de ne jamais devenir comme eux.  Mais si l’autre et moi sommes libres, alors je peux faire ce qu’il fait. Il est très dangereux de se croire immunisé contre le crime. Cette solidarité s’inverse positivement : Je sais que celui qui a posé des actes odieux est encore capable de se convertir, de revenir au bien. 

Cette responsabilité s’enracine dans le procès du Christ.  Jésus est l’innocent parfait. Le procès qui l’a condamné à mort est ignoblement truqué. L’Evangile souligne l’irresponsabilité des assassins : Pilate se lave les mains ; Caïphe déclare : « Il vaut mieux qu’un seul homme meurt pour le peuple et que l’ensemble de la nation ne périsse pas ».  Jésus a accepté de répondre de nos crimes.  Jésus a fait tout cela tout au long de sa vie.  Il n’a cessé de s’entourer de pécheurs, de criminels. Et il s’en est vanté comme d’un élément essentiel de sa mission : « Ce sont les malades qui ont besoin de médecins, je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs »

Il réclame sans cesse que nous choisissions. Il met chacun devant sa liberté en demandant : « Qui dis-tu que je suis ? », « Que veux-tu que je fasse pour toi ? »    Nous sommes plus que jamais invités à répondre librement, en conscience et de manière responsable à travers les actes que nous posons.

 Notre Père

 Oraison finale :

Nicolas, Eddy, Giovanni, Saïd, Pauline, Mélanie… et toi aussi Judas, vous êtes entrés dans ma vie avec toute la détresse de votre histoire, toute la violence de votre misère.  Suicide, viol,  défonce, folie, trahison, lourd partage de la nuit !

Au fil des rencontres, vous me l’avez appris, le bois mort est fait pour brûler.  C’est l’aubier, ce corps si fragile qui brûle ;  le cœur se consume et se tord de douleur.

Et pourtant

L’espérance a jailli, fugace, telle une flamme qui perce la nuit.                               

Il nous arrive parfois, miracle de la vie, que chante et crépite le don du Vent dans les braises : La Vie est plus forte que la mort ! La Vie est plus forte que la mort ! La Vie est plus forte que la mort….

Bienheureux  serez-vous si vous avez l’audace d’approcher ce brasier… car oui,  ses flammes perceront vos nuits.

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