(sœur Marie-Raphaël)
Ouverture
Quand Matthieu écrit son évangile, dans les années 80, le temple de Jérusalem est
détruit depuis une dizaine d’années et le mouvement pharisien a engagé une
renaissance autour de la Torah enseignée dans les synagogues. C’est une belle
renaissance, qui se groupe autour de « rabbis » de renom, dont rabbi
Yohanan ben Zakkai à Yavné. Dans l’église de Matthieu, en revanche, il y a des
tensions qui s’installent entre les chrétiens issus du judaïsme, qui restent
très attachés à la Loi, et les chrétiens issus du paganisme, qui ressentent l’importance
d’une ouverture. Les premiers seraient tentés de retourner vers le judaïsme,
les autres seraient plutôt tentés d’abandonner toute la Loi. Tel est le
contexte dans lequel le Jésus de Matthieu nous dit : « je ne suis pas
venu abolir la Loi, mais l’accomplir ». Tel est le contexte qui peut
expliquer pourquoi Jésus, chez Matthieu, est parfois si dur vis-à-vis du groupe
des Pharisiens. Matthieu lui-même est très proche de la mouvance
pharisienne : c’est pour cela aussi qu’il est parfois si dur. Nous entendrons
aujourd’hui le début du chapitre 23 de Mt, ce chapitre qui contient des paroles
virulentes contre les « pharisiens hypocrites ». Nous essaierons de
comprendre un peu la réponse qu’il propose.
Résonnances
De l’évangile que nous venons d’entendre, je voudrais
méditer sur un verset : « ils attachent de pesants fardeaux,
difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens… ». Ce verset
éveille en moi l’écho d’une parole de Jésus, au chapitre 11 de cet évangile de
Mt : « « Mon joug est bon et mon fardeau léger ». Voilà le
contraste. Mais en quoi le joug proposé par Jésus est-il bon et léger ?
Si je remonte encore plus haut dans l’évangile, et si je lis le discours sur la
montagne, je vois que Jésus tente de nous expliquer en quoi il est venu non pas
abolir la Loi, mais l’accomplir. Or, les exemples qu’il donne semblent suggérer
qu’il n’est pas venu adoucir les exigences de la Loi, mais bien plutôt
les radicaliser. Non seulement, il ne fait pas tuer, mais il ne faut pas
même se mettre en colère, non seulement il ne faut pas commettre d’adultère,
mais il ne faut même pas avoir un regard de convoitise, non seulement il ne
faut pas haïr son ennemi, mais il faut l’aimer, prier pour lui !
La grande différence entre Jésus et les pharisiens est
sans doute celle-ci : face à la Loi, Jésus donne une parole personnelle,
une parole d’autorité (« on vous a dit, moi je vous dis ».) Sa façon
d’enseigner ne nous dit pas ce que nous devons faire ou ne pas faire,
mais comment nous devons nous situer face à la volonté de Dieu. Devant
la Loi, il ne veut pas que nous soyons comme des enfants à qui on dit :
« tu peux, tu ne peux pas », mais comme des adultes qui discernent
par eux-mêmes. Et pour cela, il nous donne des critères. Notamment le critère
qui consiste à mettre une hiérarchie dans les multiples commandements, pour
savoir discerner leur priorité. Et l’absolue priorité, c’est le premier
commandement, assorti du second qui lui est égal : « tu aimeras le
Seigneur ton Dieu… et tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Comme dit
Daniel Marguerat : Jésus met tout en perspective de l’impératif de
l’amour : ce n’est pas la Loi qui doit faire la loi, mais l’amour !
Dans cette perspective, la Loi n’est pas un but
en soi, mais un moyen, pour rejoindre la volonté de Dieu. Or, quand on
est adultes face à la Loi, on est forcément plus exigeant vis-à-vis de
soi-même. La loi n’est plus un réservoir d’interdits, mais un point de départ
vers un amour qui « surpasse » la justice des scribes et des
Pharisiens, qui dépasse le plafond des interdits pour inventer un amour
toujours plus semblable à celui de Dieu pour nous. Et ce joug est bon parce que
Jésus le porte avec nous, ce fardeau est léger parce que c’est celui de la
liberté.
Prière
Seigneur Jésus, notre unique « rabbi », tu
nous enseignes les voies du Royaume : imprime sur nos cœurs ta loi
d’amour. Tu nous apprends à vivre sous le regard du Père, « tous
frères » : béni sois-tu ! Entraîne-nous, toi, le fils aîné, sur
les chemins de la fraternité.
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