mardi 23 mars 2021

Liturgie de la Parole, 5e mardi de Carême

(sœur Bernadette)

Introduction :

Face aux critiques concernant ses représentations de la croix dans plusieurs de ses œuvres, Marc Chagall a un jour réagi comme suit : « Ils n'ont jamais compris qui était vraiment ce Jésus, l'un de nos rabbins les plus aimants, qui a toujours défendu les affligés. Ils ne lui ont donné que des titres de seigneurie. Pour moi, il est l'archétype du martyr juif à travers les âges. » Proposée à nos regards, peinte en 1938, découvrons sa toile "La Crucifixion blanche".

Mais plongeons-nous d'abord dans les Écritures qui devraient nous rapprocher de la question posée à Jésus par ses adversaires : « Toi, qui es-tu ? » (Jn 8, 25)

 

Lectures : Nombres 21, 4-9 // Ps 101(102) // Jean 8, 21-30




Méditation :

Pour en revenir au tableau de Marc Chagall "La Crucifixion blanche", je voudrais expliquer quelques détails. Le Crucifié est représenté ici comme un Juif avec le talit autour des hanches, le châle de prière juif, un tissu à la place de la couronne d'épines posée par moquerie sur sa tête et avec les deux mains tendues en prière dans le "Tau" (dernière lettre en hébreu, signifiant "pour tous"). Autour de lui, le monde s'enfonce dans le chaos et la souffrance. En haut à gauche, on voit l'attaque brutale d'un petit village par des soldats en marche brandissant des drapeaux rouges, représentant le pogrom juif russe, la "tempête soviétique", de 1917. En même temps, cependant, il fait allusion à la "Reichskristallnacht" - la nuit de cristal - le pogrom juif allemand, qui a eu lieu en 1938.

On peut voir partout des personnes effrayées, incarnant la misère de l'expulsion : des réfugiés en bateau sans espoir d'un port pour les sauver, à droite un homme sauvant le rouleau de la Torah, un rabbin en pleurs, un homme dénoncé avec un bouclier devant sa poitrine, et, en bas à gauche, un homme fuyant avec ses affaires. Plus loin : des villages en feu - une synagogue profanée - la plus sainte sur le sol - et en bas à gauche un rouleau de la Torah incendié. Au milieu du paysage de la souffrance, une lumière blanche tombe sur la croix, puis au pied de la croix où l'on voit la lueur des bougies de la ménorah (le chandelier à sept branches).

Lançant à nouveau la question : « Toi, qui es-tu ? », Chagall nous répond à travers son œuvre : "Je suis ton frère en l'homme, celui qui a partagé le destin juif. Jaques Loew, par opposition, donne la réponse suivante : "N'est-il pas le fils du charpentier ? ", et il est « l’Alpha et l’Oméga » (Ap 1,8). Il est le fils de Marie, la femme de Nazareth, et il est « Rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être » (Hb 1, 3). Il est le charpentier du village, l'artisan, et celui dont l'Apocalypse nous dit qu'il est « le Souverain de l’univers » (Ap 1, 8). […] Il « est le Rabbi qui a soif et demande à la Samaritaine de lui donner à boire ; il est celui auquel obéissent les vents et la mer. Il est celui qui embrasse les enfants avec toute sa tendresse humaine, et celui qui réveille la jeune fille de la mort et la fait manger. »[1]

« Toi, qui es-tu ? » Chaque génération de chrétiens ne doit-elle pas se poser à nouveau cette question ? « Qui es-tu, Jésus, pour moi, pour nous, pour cette société, pour ce monde ? »[2]

Jésus lui-même dit de lui-même : « Celui qui m’a vu a vu le Père. » (Jn 14, 9) Cela explique pourquoi « personne ne peut connaître et suivre Jésus à juste titre s'il n'accepte pas le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob comme le seul vrai Dieu - le Créateur du ciel et de la terre. Et inversement, personne ne peut connaître correctement ce seul vrai Dieu qui n'écoute pas Jésus et qui ne l'accepte pas comme le Fils unique du Père venu du ciel."[3]  

Je pense que pour se rapprocher d'une réponse à la question « Toi, qui es-tu ? »  (Jn 8, 25), il est crucial de regarder le Crucifié et de persévérer, de se laisser toucher par lui. Regarder la souffrance dans les yeux, ou plutôt la supporter. Jésus sur la croix est immergé dans l'image à la lumière du mystère de la souffrance humaine. Il prend part à toutes les souffrances et les ténèbres qui existent et ont existé sur notre terre. Mais l'exaltation sur la croix permet déjà de faire briller l'exaltation dans la résurrection. C'est comme si Jésus nous disait : "Regardez, j'ai souffert et j'ai vaincu toutes ces choses. Celui qui peut voir et espérer cela, je le ferai sortir de ses ténèbres vers la lumière, car je le ferai entrer dans la lumière.[4] Celui qui peut voir et espérer cela, je le ferai sortir de ses ténèbres vers la lumière, car "je suis la résurrection et la vie" (Jn 11, 25).

 

Notre Père : 

Confiants en toi, nous prions comme tu nous l'as enseigné.

 

Prière de conclusion : 

Prions avec les mots de Dietrich Bonhoeffer :

« Il y a en moi de l’obscurité, mais auprès de toi, je trouve la lumière ; je suis seul, mais tu ne m’abandonnes pas ; Mon cœur est abattu, mais tu es mon secours ; je suis inquiet, mais tu es ma paix. Il y a en moi de l’amertume, mais tu es patience ; je ne comprends pas tes voies, mais tu connais le chemin. Tu m'as fait beaucoup de bien, mais maintenant laisse-moi prendre les choses lourdes de ta main. Tu ne m'imposeras pas plus que je ne peux supporter. Tu fais tout pour le bien de tes enfants. »[5]



[1] Jaques Loew, Ce Jésus qu'on appelle Christ : retraite au Vatican (1970)

[2] Heinz Janssen, predigten.evangelisch

[3] Matthias Krieser ; www.predigtkasten.de

[4] Johannes Neukirch, predigten.evangelisch

[5] Dietrich Bonhoeffer, Widerstand und Ergebung, DBW Band 8, Seite 204 f 

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