jeudi 9 juin 2022

Liturgie de la Parole, 10e jeudi TO

 (sœur Marie-Christine)

DOROTHÉE DE GAZA

 Le feu de la colère

 Vraisemblablement originaire d'Antioche, Dorothée est né au début du VI' siècle d'une famille chrétienne aisée. Après de brillantes études, il entra au monastère de l'abbé Séridos dont les deux « grands vieillards », Barsanuphe et Jean, reclus, assumaient en fait la direction spirituelle. Sous leur patiente conduite, il marcha assidûment par les chemins de l'Évangile avant de devenir lui-même fondateur et abbé d'un monastère situé près de Gaza.

L'enseignement qu'il y donna à ses moines nous est transmis par ses Instructions l'ascèse du désert est présentée avec une simplicité et un sens du réel remarquables.

           Autre chose est la rancune, autre chose la colère, autre chose l'irritation et autre chose le trouble. Je vous donne un exemple qui vous fera comprendre. Quelqu’un allume un feu, il n'a d'abord qu'un petit charbon. Celui-ci représente la parole du frère qui vous offense. Voyez, ce n'est encore qu'un petit charbon, car qu'est-ce qu'un simple mot de votre frère ? Si vous le supportez, vous éteignez le charbon. Si au contraire vous vous arrêtez à penser : « Pourquoi m'a-t-il dit cela ? J'ai de quoi lui répondre ! S'il n'avait pas voulu m'offen­ser, il ne m'aurait pas parlé de la sorte. Qu'on sache bien que je peux, moi aussi, lui faire du mal ! » Comme celui qui allume le feu, vous jetez là des brindilles ou n'importe quoi, et vous faites de la fumée, ce qui est le trouble. Car le trouble n'est pas autre chose que le mouvement, l'afflux des pensées qui excite et exalte le cœur. Et c'est cette exaltation qui pousse à se venger de l'offenseur...

          En supportant le simple mot de votre frère, vous pouviez donc éteindre le petit charbon, avant que n'apparaisse le trouble. Mais même ce trouble, vous pouvez encore l'apaiser facilement, lorsqu’il vient de se produire, par le silence, par la prière. Si, au contraire, vous continuez à faire de la fumée, c'est-à-dire à exalter et à exciter votre cœur  en pensant : « Pourquoi m'a-t-il dit cela ? Moi aussi, je peux lui en dire ! », l'afflux et le choc des pensées, pourrait-on dire, travaillant et échauffant le cœur, provoquent la flamme de l'irritation... Voilà donc venue l'irri­tation. Si vous voulez, vous pouvez l'éteindre encore, avant qu'elle ne devienne colère. Mais si vous continuez à vous troubler et à troubler les autres, vous faites comme celui qui jette des morceaux de bois dans le foyer et active le feu : c'est alors qu'ils deviennent des charbons. Et c'est la colère...

          Si à l'origine du trouble, dès qu'apparaissent la fumée et les étincelles, on prend les devants en s'accusant soi-même, avant que ne jaillisse la flamme de l'irritation, on reste en paix. Mais si, l'irritation une fois provoquée, on ne se calme pas, et qu'on persiste dans le trouble et l'exaltation, on ressemble à celui qui fournit du bois au feu et continue de le faire brûler, jusqu'à ce qu'il devienne de belles braises. Et de même que les braises devenues charbons et mises de côté, subsistent des années sans pourrir, même si on jette de l'eau dessus, ainsi la colère qui se prolonge devient de la rancune...

          Vous savez maintenant ce qu'est le premier trouble, ce qu'est l'irritation, ce qu'est la colère et ce qu'est la rancune. Voyez-vous comment d'une seule parole on parvient à un si grand mal ? Si dès le début on avait jeté le blâme sur soi, si on avait supporté patiemment la parole de son frère, sans vouloir se venger, ni répondre deux ou même cinq paroles pour une seule, et rendre le mal pour le mal, on aurait pu échapper à tous ces maux. Aussi, je ne cesse de vous le dire, arrachez vos passions tant qu'elles sont jeunes, avant qu'elles ne se soient fortifiées en vous et que vous n'ayez à peiner. Car autre chose est d'arracher une petite plante, autre chose de déraciner un grand arbre.

Instructions, VIII, 89-91 : « Sources Chrétiennes » n° 92, Le Cerf, Paris 1963, p. 309-311.

„Lectures chrétiennes pour notre temps” : © 1971 Abbaye d'Orval, Belgique

fiche D 24

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