(sœur Marie-Raphaël)
Ouverture
Entre Ascension et Pentecôte, voici la fête de la
Visitation. Quel est le rapport ? En plus, c’est aujourd’hui
l’anniversaire de ma première communion (c’était un jour d’Ascension, il y a
une cinquantaine d’années). Je ne l’ai jamais oublié, car ce jour-là, de façon
totalement inattendue, j’ai reçu de Dieu la grâce sensible de sa présence. Ce
fut sans doute le début d’un chemin plus conscient de vie intérieure. Quel
rapport, donc, entre Ascension, Pentecôte, Visitation et Eucharistie ?
Peut-être : la grâce sensible d’une présence, la découverte de
l’importance de la vie intérieure où Dieu se donne à nous pour nous donner au
monde. Entrons dans cette fête en écoutant Marie dire à chacune de nous :
« réjouis-toi, arche de l’alliance nouvelle ! », et avec
Elisabeth, répondons-lui : « comment m’est-il donné que la mère de
mon Seigneur vienne à moi ? ».
Résonances
À propos de la Visitation, Colette Nys-Mazure
écrit : « de femme à femme circule le secret magnifique ; la vie
tressaille, prend forme. Tu es ma sœur en mystère »[1].
Cette scène de la vie de Marie n’est pas
anecdotique : elle est théologique, comme tout l’évangile de l’enfance
selon Luc. Elle a un message de révélation à nous transmettre, qui se rattache
à la scène de l’Annonciation, et la déploie.
Il y a des rencontres qui sont de visitations. Nous
devons y être attentifs. « Visiter », dans l’AT, se dit
presqu’exclusivement de Dieu. Quand Dieu visite quelqu’un, il laisse des
traces, il transforme la vie, il vient et il intervient pour remettre en route
le vivant. Mais souvent, on ne se rend compte de sa visite que quand il est
parti. Pour Marie, la visite de l’ange a ouvert en elle le vaste puits de la
vie intérieure, où elle découvre sa fécondité. Dans son poème Annonciation,
Marie Noël écrit :
« La vierge Marie est penchée au bord / de son
cœur profond comme une fontaine / et joint ses deux mains pour garder plus fort
/ le ciel jaillissant dont elle est trop pleine ».
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car aussitôt
l’ange parti, elle se lève (littéralement : « elle ressuscite »)
et se met en marche. Elle devient à son tour l’ange de la visite pour sa
cousine Elisabeth. Sa seule présence, le son de sa voix, vont suffire à
Elisabeth pour comprendre que c’est une visite de Dieu lui-même. Et en retour,
elle va offrir à Marie la parole prophétique qui confirme ce que l’ange avait
laissé entendre : tu es la mère de mon Seigneur ! Circularité de la
prophétie qui fait exploser une joie quasi divine.
Qu’est-ce que cela signifie pour nous aujourd’hui,
pour nous moniales ? Les femmes enceintes partagent un secret magnifique.
Le secret de découvrir au cœur de leur chair une autre vie qui grandit, qui les
déborde et les transforme. C’est l’enfant qui fait de la mère une mère. C’est
d’abord la mère qui se met à l’école de son enfant, pour comprendre comment
elle est appelée à donner vie. Sommes-nous définitivement exclues de ce
secret ?
Le mystère joyeux de la visitation m’invite à méditer
sur cette question : ne sommes-nous pas toutes, et à tout âge, des femmes
enceintes, appelées à nous pencher vers le mystère de vie qui nous habite et
que nous devons mettre au monde ? Prendre conscience de cela, c’est aussi
laisser monter la joie, l’allégresse qui est le secret des humbles, dont
témoigne Marie en son Magnificat, dont témoigne le petit Jean en bondissant
dans le sein de sa mère. Une allégresse contagieuse. Osons le dire : une
allégresse qui n’est pas cantonnée dans la tête, mais qui traverse le corps et
libère en nous la source de la tendresse.
Prière
Par Marie, arche de l’alliance nouvelle, trésor
inépuisable de la vie, nous t’en prions : visite-nous, Seigneur, mets ta
joie en nous, renouvelle-nous par ton amour. Que la conscience de ta présence
au cœur de nos vies fasse de nous des prophètes de ta tendresse. Celle que tu
répands par ton Fils et dans l’Esprit, pour les siècles des siècles.
[1] C. Nys-Mazure et L.
Noullez, Traces et ferments. Un dialogue à Bible ouverte, Namur, L’Arbre
à paroles, 1998, p. 26.
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