mardi 31 mai 2022

Liturgie de la Parole, Visitation

(sœur Marie-Raphaël)

Ouverture

Entre Ascension et Pentecôte, voici la fête de la Visitation. Quel est le rapport ? En plus, c’est aujourd’hui l’anniversaire de ma première communion (c’était un jour d’Ascension, il y a une cinquantaine d’années). Je ne l’ai jamais oublié, car ce jour-là, de façon totalement inattendue, j’ai reçu de Dieu la grâce sensible de sa présence. Ce fut sans doute le début d’un chemin plus conscient de vie intérieure. Quel rapport, donc, entre Ascension, Pentecôte, Visitation et Eucharistie ? Peut-être : la grâce sensible d’une présence, la découverte de l’importance de la vie intérieure où Dieu se donne à nous pour nous donner au monde. Entrons dans cette fête en écoutant Marie dire à chacune de nous : « réjouis-toi, arche de l’alliance nouvelle ! », et avec Elisabeth, répondons-lui : « comment m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? ».

Résonances

À propos de la Visitation, Colette Nys-Mazure écrit : « de femme à femme circule le secret magnifique ; la vie tressaille, prend forme. Tu es ma sœur en mystère »[1].

Cette scène de la vie de Marie n’est pas anecdotique : elle est théologique, comme tout l’évangile de l’enfance selon Luc. Elle a un message de révélation à nous transmettre, qui se rattache à la scène de l’Annonciation, et la déploie.

Il y a des rencontres qui sont de visitations. Nous devons y être attentifs. « Visiter », dans l’AT, se dit presqu’exclusivement de Dieu. Quand Dieu visite quelqu’un, il laisse des traces, il transforme la vie, il vient et il intervient pour remettre en route le vivant. Mais souvent, on ne se rend compte de sa visite que quand il est parti. Pour Marie, la visite de l’ange a ouvert en elle le vaste puits de la vie intérieure, où elle découvre sa fécondité. Dans son poème Annonciation, Marie Noël écrit :

« La vierge Marie est penchée au bord / de son cœur profond comme une fontaine / et joint ses deux mains pour garder plus fort / le ciel jaillissant dont elle est trop pleine ».

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car aussitôt l’ange parti, elle se lève (littéralement : « elle ressuscite ») et se met en marche. Elle devient à son tour l’ange de la visite pour sa cousine Elisabeth. Sa seule présence, le son de sa voix, vont suffire à Elisabeth pour comprendre que c’est une visite de Dieu lui-même. Et en retour, elle va offrir à Marie la parole prophétique qui confirme ce que l’ange avait laissé entendre : tu es la mère de mon Seigneur ! Circularité de la prophétie qui fait exploser une joie quasi divine.

Qu’est-ce que cela signifie pour nous aujourd’hui, pour nous moniales ? Les femmes enceintes partagent un secret magnifique. Le secret de découvrir au cœur de leur chair une autre vie qui grandit, qui les déborde et les transforme. C’est l’enfant qui fait de la mère une mère. C’est d’abord la mère qui se met à l’école de son enfant, pour comprendre comment elle est appelée à donner vie. Sommes-nous définitivement exclues de ce secret ?

Le mystère joyeux de la visitation m’invite à méditer sur cette question : ne sommes-nous pas toutes, et à tout âge, des femmes enceintes, appelées à nous pencher vers le mystère de vie qui nous habite et que nous devons mettre au monde ? Prendre conscience de cela, c’est aussi laisser monter la joie, l’allégresse qui est le secret des humbles, dont témoigne Marie en son Magnificat, dont témoigne le petit Jean en bondissant dans le sein de sa mère. Une allégresse contagieuse. Osons le dire : une allégresse qui n’est pas cantonnée dans la tête, mais qui traverse le corps et libère en nous la source de la tendresse.

Prière

Par Marie, arche de l’alliance nouvelle, trésor inépuisable de la vie, nous t’en prions : visite-nous, Seigneur, mets ta joie en nous, renouvelle-nous par ton amour. Que la conscience de ta présence au cœur de nos vies fasse de nous des prophètes de ta tendresse. Celle que tu répands par ton Fils et dans l’Esprit, pour les siècles des siècles.



[1] C. Nys-Mazure et L. Noullez, Traces et ferments. Un dialogue à Bible ouverte, Namur, L’Arbre à paroles, 1998, p. 26.

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