Sœur Marie-Raphaël
Un mot qui m’a touchée dans la première lecture :
la honte.
L’année dernière, Benoît Lejeune a organisé avec la
pastorale de la santé du diocèse de Liège un colloque psychiatrie et pastorale
sur le thème de la honte. Il en ressort notamment que la honte a à voir avec le
regard de l’autre. Le regard de Dieu sur moi, mais aussi mon propre regard sur
moi. Il y a une honte existentielle, qui colle à la peau, parfois de génération
en génération (« tu n’as pas le droit d’exister, tu aurais mieux fait de
ne pas naître »), et une honte fonctionnelle, qui fonctionne comme un
moteur de résilience. La Bible aussi parle de plusieurs sortes de hontes. Il y
a la mauvaise honte, celle qui vient de l’humiliation. Et il y a la bonne
honte, celle qui vient de la prise de conscience de mon péché. Le pape François
a dit un jour qu’il nous faut être attentif à ne pas laisser de côté « la
bonne honte ».
Le prophète Daniel déclare : « à nous la
honte au visage, car nous avons péché… » Il parle au nom d’une
collectivité, son peuple, plusieurs générations. Il y a donc ici la
reconnaissance de ce qu’aujourd’hui on appelle un « péché
systémique ». On peut transposer sur l’actualité de l’église : le péché systémique des
abus nous couvre tous de honte. Ne craignons pas cette honte-là, dirait le pape
François, car elle peut être thérapeutique…
Résonances
Les deux lectures parlent de pardon et de miséricorde.
Dans la lecture de Daniel, c’est le pardon de Dieu qu’on invoque, sur un
collectif qui prend conscience de sa faute. On l’invoque parce qu’on sait qu’un
des attributs majeurs de Dieu, c’est sa miséricorde. On reconnaît que la
miséricorde ne peut venir que de Dieu.
Lien avec l’évangile : « soyez
miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux ». On commence par
reconnaître que la miséricorde vient de Dieu, mais on ajoute qu’elle peut
rebondir sur nous, puisque nous devons ressembler à notre Père. Du coup, on
donne des exemples de comment mettre cela en œuvre et on promet une réciprocité
(« donnez, on vous donnera, etc »). Cet extrait d’évangile nous
invite à entrer dans la dynamique de la générosité de Dieu. C’est très beau…
Mais c’est très dangereux, si on fait de ces versets
une injonction moralisatrice : « parce que tu es un bon chrétien, tu
dois être généreux, tu dois donner, tu dois pardonner… »,
sous-entendu : « si tu ne pardonnes pas, tu n’es pas un bon chrétien
» … Perversion de la formule évangélique ! Et qui, dans le cadre des abus,
a été utilisée comme une arme de soumission. Que de vies détruites ! Il y
a bien là un péché systémique, collectif, une honte que nous devons assumer
ensemble.
Au quotidien, le pardon comme habitude à prendre au
cœur de nos relations agit rapidement et empêche que les blessures s’encroûtent.
Mais il y a parfois des blessures et des traumatismes qui affectent l’être même
de la personne. Le pardon, alors, est parfois tout simplement impossible, il ne
peut jamais être exigé. Il ne peut y avoir de pardon sans justice et vérité. Le
pardon peut survenir comme une grâce au bout d’un long chemin. Il passe par la
grâce de la croix du Christ. Nous le verrons mercredi.
Prière
Père de toute miséricorde, en toi, le don est sans
mesure. Apprends-nous à te ressembler. Ouvre nos yeux sur la réalité de notre
péché et sur la grâce du pardon à recevoir et à donner. Fais-nous entrer dans
la dynamique de ta générosité, afin que la grâce touche les cœurs et se propage
à tous les niveaux de nos relations.
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