(Isabelle)
Introduction
Ce
midi, nous allons entendre deux lectures dont je ne comprends pas bien le lien
entre elles, sinon qu’elles annoncent toutes les deux la Bonne Nouvelle, ce qui
en soi est réjouissant !
La
première lecture, du chapitre 5 des Actes des Apôtres (Ac 5, 17-26), nous parle
de l’emprisonnement des apôtres, de leur libération par un ange (parce qu’ils
craignent Dieu, dit le psaume 33,8), et de leur intervention au temple pour enseigner
« la parole de vie ».
L’évangile
du jour est de Jean au chapitre 3 (Jn 3, 16-21). Certains versets de la bible
sont tellement populaires qu’ils deviennent des phrases « culte ».
Elles « font le buzz ». On les imprime sur des T-shirts, on en fait des
magnets, on se les fait même tatouer sur le corps. (Jn 3, 16) est un verset de ce type. Et pour
cause : il résume à lui tout seul le thème central du christianisme :
« Dieu a tant aimé le monde qu’il a
donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais
obtienne la vie éternelle ». Faut-il encore le réexpliquer alors que
nous sortons des fêtes de Pâques ?
Les
versets suivants nous parlent de ténèbres, de lumière, de jugement. Je vous
propose de méditer la fin de cet évangile : « Celui
qui fait la vérité vient à la lumière pour qu’il soit manifeste que ses œuvres
ont été accomplies en union avec Dieu » (Jn 3, 21).
Méditation
« Celui qui fait la
vérité vient à la lumière pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies
en union avec Dieu ». Faire la vérité - la vérité
de Dieu. En passant des ténèbres à la lumière - la lumière, c’est le Christ.
Accomplir des œuvres en union avec Dieu – réaliser l’œuvre de Dieu. Ce verset m’a
fait penser aux icônes, à la manière dont on les réalise, à la prière et
l’exercice spirituel de l’iconographe.
Pour
les orthodoxes, l’icône n’est pas une œuvre picturale que l’on contemple et qui
aide à prier. L’icône est un objet
sacré, qui manifeste la présence du Christ ressuscité et la plénitude de
l’Esprit saint. Quel que soit le sujet représenté : un Christ, une
vierge, un saint, une scène biblique, un épisode de la vie de Jésus.
L’iconographe,
dans la tradition russe, après avoir dessiné les contours, peint d’abord les
vêtements avec des couleurs foncées, suivant un canon défini, puis il couvre le
visage et les parties du corps avec du « sankir », la couleur
terreuse de la peau. Le fond sombre, « ténébreux », s’éclaircit par
application de couches de plus en plus claires, en zones de plus en plus
étroites ; la lumière apparaît ainsi progressivement, jusqu’au nimbe et au
regard. Il y a là derrière une tradition et une symbolique fortes : la sainteté[1]
passe, durant l’existence terrestre, des ténèbres à la lumière. L’icône
nous le montre. L’iconographe le vit.
Quand
on se dit la première fois qu’on peindrait bien une icône, c’est souvent parce
qu’on a été saisi en en contemplant une. On souhaite entrer dans ce « mystère »
et « écrire[2] »
sa propre icône. Il faut du temps et de la patience : la tempera à l’œuf
est une technique délicate, qui demande de poser des dizaines de couches
minces, et de bien les laisser sécher, l’une après l’autre. On se sent souvent maladroit,
démuni mais surtout impatient du résultat. Certains ne peindront qu’une seule
icône, d’autres recommenceront. Ils disent entamer un chemin personnel vers
Dieu. Ils y consacrent du temps : du temps pour la peinture, du temps pour
la lecture, du temps pour la méditation, qui ouvre à la connaissance du sujet
représenté, à la connaissance de soi-même et des autres, à la connaissance de
Dieu. Vivre ce temps « donné » conduit à une transformation progressive
de soi, avec prise de conscience de ses zones d’ombres, de ses zones de
lumière, de son engagement à la suite du Christ.
Je
peux dire aujourd’hui que la pratique régulière de l’iconographie a changé ma
manière de prier, et sans doute aussi ma manière d’être. Cela me permet de m’ouvrir à l’œuvre de Dieu, c’est-à-dire, à ce que Dieu
opère en moi. Des parties de ma vie, de mon quotidien, re-font surface.
Elles ne sont toujours roses, elles me mettent parfois en tension. Je laisse
alors un peu les pinceaux de côté, je me mets en présence du Seigneur puis je reviens, quand je peux « faire la vérité ». Le
cœur se transforme petit à petit. Un peu comme si l’icône se plaçait à un niveau existentiel « juste »,
que son authenticité se trouvait dans le face-à-face entre elle et moi. Je suis
souvent surprise de la résonnance en moi d’un sujet que j’ai choisi je ne sais pas
trop pourquoi. La résonnance est amplifiée quand je peins à la demande d’un
ami. C’est une expérience pacifiante et à la fois bouleversante. On dit que
l’« on écrit comme on respire ». On respire aussi comme on écrit
l’icône.
Quand le travail est terminé, il n’y a plus l’angoisse des défauts et des traits maladroits. Il y a la joie de la lumière, la joie du chemin parcouru « en union avec Dieu » et la joie de l’avenir qui se profile. L’icône donnée illuminera d’autres personnes, inconnues, anonymes, de tout horizon, de tout âge. « Il est manifeste que l’œuvre de Dieu a été accomplie en union avec Dieu ».
Je
vous ai apporté une planche représentant le Christ Pantocrator[3], qui en est à l’étape des
aplats, de l’ombre, des ténèbres. Il reste, pour la rendre icône, à en faire
émaner la lumière, comme le montre la seconde.
En la contemplant, nous bénéficions du regard posé par le Christ sur
nous, de sa lumière, de son rayonnement. Il nous invite à le suivre, en vérité.
Osons dépasser l’objet : entrons dans la lumière, dans la prière, dans la
joie du Ressuscité. « Celui qui fait
la vérité vient à la lumière pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été
accomplies en union avec Dieu ». C’est vrai pour l’iconographie, c’est
vrai aussi pour autre tout moment de notre vie de témoin, de chrétien !
Seigneur Dieu, tu as tant aimé le monde que tu as donné ton fils unique pour nous sauver. Nous essayons de marcher à sa suite et de nous inscrire dans ton dessein en nous ajustant à toi dans les différentes dimensions de notre existence. Cela nous demande en permanence de nous convertir, d’utiliser nos ressources, nos dons, nos charismes et de les mettre à la disposition des autres, de ta création, de ton Eglise. Tu nous donnes la grâce pour y arriver. Donne-nous de l’accueillir chaque jour que tu fais. Nous te le demandons par Jésus-Christ, ton fils, notre Seigneur, qui vit et règne avec toi et le Saint Esprit pour les siècles des siècles.
[1] Etre saint, ce n’est pas atteindre un idéal de
perfection, mais consentir joyeusement à ce que nous sommes et nous laisser
transformer par Dieu. La sainteté jaillit de la vie. Dieu nous y invite chacun
et chacune. (Jacques Gauthier, 2019, Devenir
saint, Ed. Emmanuel)
[2] Peindre ou écrire une icône ? Je n’entre
pas dans le purisme des mots, rejoignant en cela Elisabeth Lamour (https://iconeslamour.wordpress.com/2021/01/08/ecrire-ou-peindre-une-icone/).
[3] Le « Pantocrator » est une représentation
du Christ en gloire, en buste, tenant le livre des Saintes Ecritures dans la
main gauche et levant la droite dans un geste de bénédiction. Voir les photos
jointes.
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