(Isabelle)
Introduction
Ezéchiel,
dans la première lecture du jour (Ez 47, 1-9.12), parle de l’eau qui guérit et
donne la vie : « J’ai vu l’eau qui jaillissait du Temple », dit
le prophète, « tous ceux qu’elle touchait furent sauvés ».
Il se
passe quelque chose de semblable à la piscine de Bethzatha : un homme attend
que le bouillonnement de l’eau le sauve (Jn 5, 1-16). « Veux-tu être
guéri ? » demande Jésus à l’infirme. Celui-ci ne répond que pour
déplorer ne pas pouvoir entrer le premier dans la piscine, dont on raconte que
le « premier jet » de la source qui jaillit par intermittence guérit,
car il est envoyé par Dieu[1]. L’infirme pense ne pas
pouvoir « avoir sa chance ». Il attend depuis très longtemps. Jésus
l’invite à se lever sans attendre et à se mettre en marche. Ce qu’il fait.
Chrétiens,
nous savons les possibilités offertes par Dieu à chacun; il reste à prendre
notre fardeau et à nous mettre en marche, à la suite du Christ.
Entrons humblement en prière et chantons les psaumes.
Méditation
Début mars, j’ai été interpellée par deux articles de presse qui m’ont invitée à méditer l’évangile du jour sous un angle nouveau – nouveau pour moi en tout cas : Jésus opère des guérisons le jour du sabbat !
Quels étaient ces 2 articles de presse ? Le 5 mars, dans 7 sur 7 : « Le premier ministre israélien Naftali Bennett s'est envolé samedi pour Moscou où il a rencontré le président russe Vladimir Poutine pendant environ trois heures (…) M. Bennett est un juif religieux qui ne conduit pas d'affaires officielles le samedi, jour de repos hebdomadaire juif, sauf dans des circonstances extraordinaires ». Nous savons hélas quelles sont ces circonstances extraordinaires !
Le 13
mars, dans l’Express: « Dès les premiers bruits de bottes russes, Israël a
fait de l'immigration des Juifs d'Ukraine une priorité absolue. Chaque jour,
des centaines de réfugiés ukrainiens arrivent (en Israël) par avions spéciaux et sortent acclamés par des
Israéliens, avec chants patriotiques et distribution de gâteaux. Le
"retour à la maison" des frères ukrainiens se fête dignement. (…) C’est
une bénédiction pour l'Etat hébreu ». Vous comprenez de quoi N. Bennett et V. Poutine ont parlé. Cela valait la peine de
déroger à la loi de Moïse ! Vies en danger, sauvetage, fête, joie pour
ceux qui les accueillent.
On ne
peut pas dire que les actions de Jésus les jours de sabbat produisaient le même
effet … Les rabbins, les grands prêtres, les juifs, pris à témoin, se disent
choqués par la transgression des interdits : Jésus soigne (c’est proscrit)
des malades chroniques (il n’y a pas d’urgence) et voilà qu’il demande à
l’homme de porter son brancard (encore un proscrit du sabbat), dans un lieu païen
fourmillant d’indigents, d’impurs donc. Pourquoi le Christ déroge-t-il ainsi à
la loi de Moïse, le jour où l’on se repose pour célébrer les merveilles de
Dieu, le jour où l’on commémore
la délivrance de l’esclavage d’Egypte ? Est-ce de la
provocation ? Ou bien ?
Le sabbat, selon le livre de l’Exode, est
le jour de repos de Dieu, un jour de repos en Dieu. Le Deutéronome (Dt 5, 15) lui
apporte une autre dimension : c’est le jour de la commémoration de la
force déployée par Dieu pour sortir son peuple d’Egypte. André Wénin, dans un
commentaire sur le Décalogue[2],
dit : « La puissance de Dieu se fait service de la liberté et de la
vie ». La liberté invite à l’alliance. L’exode à la re-naissance, à la vie.
Si Jésus guérit le jour du sabbat, ce
n’est donc sans doute ni par hasard ni par provocation : il agit et ramène
le sabbat à l’intention originelle, dont la bénédiction et la guérison sont les
caractéristiques centrales. « Il
(Jésus) accomplit la consigne du
sabbat en la renforçant et en la confirmant : le sabbat se concentre sur
la délivrance de tout ce qui pourrait empêcher l’homme qui veut atteindre la
liberté (…) »[3]. L’histoire de notre infirme est une histoire
de délivrance, de salut. « Quel
jour de la semaine, autre que le sabbat, les auteurs néotestamentaires auraient-ils
pu choisir pour caractériser le comportement de Jésus comme un comportement
délivrant (libérateur) – ou comme le
dit Jn 7, 23 : pour "la guérison de l’homme tout entier" »[4].
Nous approchons de Pâques et nous sentons chaque jour, à travers les lectures, la tension monter autour de Jésus. « Tout dans l’activité de Jésus », écrit Daniel Marguerat[5], « transpire l’urgence de se décider pour cette échéance proche : les paraboles, la hâte de guérir, même le jour du Sabbat, l’exhortation à brûler les paroles de politesse pour annoncer plus vite le Royaume ». Le salut est là, à notre porte, à notre portée. L’avènement du Royaume est imminent. La conversion est urgente ! Alors, oui, bien sûr, Jésus avait toutes les bonnes raisons de déroger à la loi de Moïse et de lui redonner son sens premier ! Les circonstances sont tout sauf ordinaires ! « Lève-toi et marche ».
Comme Israël accueille aujourd’hui avec joie le "retour à la maison" des frères ukrainiens, négocié un jour de sabbat, accueillons dans le royaume ceux qui re-naissent de cette bénédiction que Jésus nous offre chaque jour que Dieu fait, et accueillons ceux qui se reposent en Lui.
Notre
Père
La liturgie ne nous a pas donné ce jour le verset suivant de l’évangile de Jean (Jn 5, 17) : « Non seulement Jésus ne respectait pas le sabbat, mais encore il disait que Dieu était son propre Père ». Cela l’a conduit à la mort. Nous le savons. Nous reconnaissons que Jésus est fils de Dieu, et avec lui, nous prions : « Notre Père »
Oraison
Dieu notre Père, tu as envoyé
ton fils pour nous offrir la guérison et le salut, pour nous délivrer de tout
ce qui pourrait nous empêcher d’atteindre la liberté. Jésus nous a rappelé la
pleine dimension du jour où nous pouvons nous reposer en Toi. Donne-nous de
nous saisir sans attendre de l’occasion de nous convertir et de te
célébrer dans la joie et la confiance. Nous te le demandons, par Jésus, qui vit
et règne avec toi et le Saint-Esprit, pour les siècles des siècles. Amen.
[1] L.
DEVILLERS, op, Une piscine peut en
cacher une autre. A propos de Jean 5, 1-9, Revue Biblique, 1999, Vol. 106/2, pp.
175-205.
[2] A.
Wénin, Le
Décalogue. Approche contextuelle, théologie et anthropologie, in C.
Focant (ed.), La loi dans l'un
et l'autre Testament, Cerf, pp. 9-43.
[3] H. AUSLOOS, Jésus et l’idolâtrerie du sabbat, Revue
des Sciences Religieuses, Vol. 85/1, 2011, pp. 27-43.
[4] H. AUSLOOS, ibid.
[5] D. MARGUERAT, in Paul, interprète de Jésus, Le Monde de la Bible, 2003, n° 150, p.
22.
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