(sœur Marie Raphaël)
Ouverture
Notre Dieu a de la suite dans les idées. Jonas a pu le
vérifier. Il avait d’abord essayé de se dérober à l’appel de Dieu. Mais la
tempête, puis le grand poisson, l’avaient ramené à son point de départ. De
nouveau, Dieu lui adresse la parole. Notre Dieu est un Dieu qui ne cesse de
nous donner, de se donner une nouvelle chance. De nouveau… Car il ne
veut pas s’avouer vaincu, il ne se laisse pas vaincre en générosité. De
nouveau : c’est une des clés qui permet d’entrer dans le secret de
Dieu !
Résonances
« Qui sait si Dieu ne se ravisera pas et ne se
repentira pas, s’il ne reviendra pas de l’ardeur de sa colère ? »
Tout le secret du petit livre de Jonas tient dans ces mots : « qui
sait ? »
Les gens de Ninive ne savent pas, mais ils font
l’hypothèse, ils n’ont rien à perdre, ils misent tout sur cette hypothèse.
Jonas, lui, sait. Il l’avouera dans les versets qui
suivent. Il savait. Et c’était même pour cela qu’il avait tant résisté à
l’ordre divin : « Je savais bien que tu es un Dieu tendre et miséricordieux,
lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment ». Jonas,
prophète malgré lui, voulait bien se faire le porte-parole de la justice de Dieu,
mais pas de sa miséricorde. Pourquoi Jonas se met-il en colère ? On dirait
qu’il voudrait protéger Dieu de Dieu. Cela ne convient pas, un Dieu qui fait
marche arrière ! Il mesure la folie dans laquelle Dieu se laisse entraîner
s’il cède à sa miséricorde. Il mesure la révolution qui est ici en jeu. Un Dieu
qui se repent : où va-t-on ?
Et si cette marche arrière, cette apparente
régression, était précisément la « botte secrète » de Dieu ? Sa
tactique inattendue qui lui permet de sortir de l’impasse et de sauver à la
fois sa justice et sa miséricorde ?[1] Le livre de Jonas, si
petit soit-il, vaut son pesant d’or dans l’ensemble de la révélation biblique.
Il nous parle d’un Dieu qui ne rêve que d’une chose : faire justice en
pardonnant, nous révéler l’excès de son amour.
Et il y a ici bien plus que Jonas. Jésus n’est pas
seulement prophète de la miséricorde divine, il est en personne cette
miséricorde, la mise en œuvre de l’excès de l’amour du Père. Jésus est la botte
secrète du Père.
Jonas avait raison : cela ne convient pas. Un
Dieu qui donne sa vie et meurt pour nous / par nous. Quel gâchis. Et pourtant,
Jésus l’a fait. Devant ce gâchis, nous pouvons rester extérieurs, observer de
loin, comme Jonas, et nous mettre en colère parce que Dieu est trop bon. Nous
pouvons aussi nous mettre en route comme la reine de Saba et nous incliner
devant la sagesse d’un Dieu qui nous aime à la folie.
Prière.
Dieu, tu nous aimes à la folie. Ta justice atteint sa
plénitude dans l’excès de ta miséricorde. Béni sois-tu ! Apprends-nous à
te suivre sur ce chemin de salut, convertis nos cœurs afin qu’ils reconnaissent
ton passage dans nos vies. Bénis et protège tous ceux qui, aujourd’hui, dans
notre monde en guerre, opposent au mal la résistance d’un cœur droit, d’un
authentique repentir, d’une solidarité persévérante, tous ceux qui refusent
d’entrer dans la spirale du mensonge et de la violence, suivant ainsi, peut-être
sans le savoir, les traces de ton Fils bien-aimé.
[1] Pour l’expression
« botte secrète » et l’explication de cette intuition, voir l’article
de Jean-Pierre Sonnet, « Justice et miséricorde. Les attributs de Dieu
dans la dynamique narrative du Pentateuque », dans Nouvelle Revue
Théologique 138/1, 2016.
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