mardi 8 mars 2022

Liturgie de la Parole, 1er mardi de Carême

 (Isabelle)

 Introduction

Aujourd’hui, 8 mars, nous fêtons Saint Jean de Dieu, fondateur de l’ordre des Hospitaliers, patron des malades et du personnel de soins. Nous prions spécialement pour eux, par son intercession.

Le 8 mars, c’est aussi la journée internationale des droits des femmes. Une journée au cours de laquelle, un peu partout dans le monde, les femmes dénoncent ouvertement les discriminations, les inégalités, les violences dont elles font l’objet ; elles écrivent des plaidoyers et des propositions d’action, y/c pour faire reconnaître leur place dans l’Eglise[1]. Des hommes se joignent à elles, bien sûr ! Dans certains pays, là où les femmes n’ont guère droit à la parole, là où elles n’ont pas le droit de manifester, elles se confectionnent une tenue spéciale, arborent des slogans et des symboles porteurs de vie, et elles font la fête. Elles dansent dans les quartiers, et à l’église elles chantent la gloire du Seigneur sur des rythmes « de Dieu le Père ». Les hommes les soutiennent bien évidemment, notamment en prenant leurs tâches pour un jour !

Dans la première lecture, les derniers versets du second Isaïe nous rappellent que la Parole de Dieu est féconde en nos vies, comme la terre est féconde. Cette parole, nous l’accueillons. Nous accueillons aussi et redisons chaque jour la seconde lecture : « Notre Père ». Nous répétons cette prière parce que Jésus nous l’a apprise ; nous l’aimons parce qu’elle rejoint notre humanité, qu’elle fait sens dans nos vies et qu’elle ouvre aux dimensions de l’amour de Dieu pour tous les hommes. Amour face auquel nous sommes tous égaux.

Commençons cette célébration en chantant notre louange au Seigneur avec les psaumes.

Méditation (Is 55, 10-11)

« La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ». (Is 55, 10)

Quelle merveilleuse description ! On imagine un paysage un peu comme dans le cantique des cantiques : doucement vallonné, avec chevaux sauvages, des gazelles, des agneaux, des papillons, des abeilles, des arbres croulant de fruits, des blés dorés. Une brise légère, de la chaleur, de la douceur. Du vert, ou plutôt des verts, et des bleus. Et des senteurs …

Je me permets de vous lire ce matin un portrait d’une femme qui évolue dans un univers différent, et pourtant tellement lointain et tellement proche. Vous ferez le lien avec ce début du texte d’Isaïe …

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L. L comme Libona. Elle.

5h. L. se lève qu’il fait déjà grand soleil. Il fait toujours grand soleil dans ce pays. Un soleil de plomb qui ne se voile que pour devenir rouge des poussières du Sahara, ou qui s’assombrit quelques heures avec la promesse d’une pluie de mousson africaine.

Je l'imagine à ses heures matinales, mais je ne suis pas sûre de pouvoir le faire avec justesse. Elle aime la justesse, par-dessus tout. Il fait déjà chaud. Il fait toujours chaud. Sans doute prend-elle d’abord une courte douche, avec une attention énorme à économiser l’eau. Elle enfile un élégant pagne coloré, impeccablement repassé. Vert. C’est sa couleur préférée ! Elle dit : « Vert : la couleur de l’herbe que Dieu vous a donnée en abondance. Il aurait pu nous en donner un peu … ».

Elle déjeune de tô, une bouillie de petit mil cultivé par la coopérative des femmes qu’elle a créée. La gamine du village qu’elle a prise sous son aile pour lui apprendre à tenir une maison, lui a préparé le thé, sur le charbon de bois, accroupie, dehors. « C’est important de bien tenir une maison, c’est la dignité des pauvres ». Important pour garder le mari qu’on a choisi pour vous et pour bien élever les nombreux enfants qui naîtront, même si on n’en a pas encore vraiment l’âge.

L. a quitté depuis longtemps le village familial pour une vie de femme émancipée. Diplômée. Ce n’est pas nécessairement un cadeau : « une femme instruite, c’est difficile à accepter » ! Elle ne délaisse pas pour autant son village car elle tient à y promouvoir l’éducation des filles. Par tous les moyens. Leurs faibles moyens. Féministe. Généreuse. « La chance que Dieu m’a donnée, je dois la rendre tant que je vis », répète-t-elle.

Ce qui m’a frappé, une des dernières fois où je l’ai rejointe au pays, c’est son « africanité ». Chance de la voir me faire rencontrer "les siens", ceux de sa vie. Perte de mes repères occidentaux. Ils sont nombreux ses amis. Pauvres. Accueillants. Souriants. Ils se veulent intègres. C'est le nom de son pays : le pays des hommes intègres. Un vœu pieux pour un des pays les plus pauvres du monde, en proie à un terrorisme impossible à réfréner, et une gouvernance démocratique impossible à maintenir.

Chez nous, L. s’adapte. Elle se fond. Elle met de côté ses expressions indigènes. Elle parle moins fort. Elle ne dit sa foi que dans les cercles amis. Elle ne perd rien, prend tout, gagne « en expérience et en espérance ». C’est sans doute cela qui nous lie le plus : l’espérance.

Chez elle, je la vois fonceuse, frondeuse. Elle guide. Elle porte. Elle soulève des montagnes. Elle tient bon. Elle ne laisse personne indifférent.  Elle s'inquiète beaucoup : pour la santé, la sûreté alimentaire, la sécurité. Pour ses enfants, son village, pour son peuple. « Dieu n’oublie personne. », me dit-elle. « C’est difficile à prier ! »

Toujours à l’heure et pleinement de son temps, malgré un âge au-delà de l’espéré, elle s’en va rejoindre ses étudiants et étudiantes. « Les jeunes, c’est l’espoir de la nation ». Je partage cela aussi avec elle. Elle démarre en soulevant un nuage de poussière ocre rouge sur la piste avant de rejoindre le goudron. Tout est poussière dans ce pays !

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Je vous relis Isaïe (Isaïe 55, 10-11) :

« La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ».

« Ainsi ma parole, qui sort de ma bouche ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. » 

Oui, Seigneur, Ta parole revient avec du résultat. Oui, en ayant fait ce qui Te plaît. Oui, en accomplissant sa mission. Qu’importe l’herbe, l’eau, la semence ou le pain, ce sont les hommes et les femmes debout qui Te suivent et façonnent ton Royaume ! Au Nord, au Sud, à l’Est, à l’Ouest, dans la richesse ou la pauvreté, dans la verdure ou la poussière du désert, en temps de paix ou en temps de guerre, en particulier ce jour, Seigneur, bénis les femmes !

Introduction au Notre Père

« Notre Père, qui es aux cieux », nombreux sont ceux et celles qui s’adressent à toi par cette prière. C’est la prière des femmes qui subissent des blessures énormes, en particulier en période de guerre, et y survivent avec courage, c’est la prière de celles qui portent de lourds fardeaux au quotidien, de celles qui vivent d’immenses joies et donnent de l’espoir à leur entourage, de celles qui t’accueillent avec amour. C’est la prière que Jésus nous as apprise. Poussés par l’Esprit, nous la chantons ensemble avec joie.

 Oraison

« Notre Père, qui es aux cieux », ton église nous présente des saintes comme modèles de vie. Nous les reconnaissons ; elles nous inspirent et nous soutiennent. Ton église nous parle moins des femmes qui, dans la discrétion, intercèdent pour nous auprès de Toi. Elles portent ta parole, elles portent la vie en toi. Accueille leur vie donnée, leur prière, celle de leurs familles, celle de leurs amis. Nous te le demandons, par Jésus, le Christ, qui règne avec toi et le Saint-Esprit, maintenant et à jamais.


[1] « Agir pour les femmes dans l’Eglise catholique - les 15 propositions du Forum de l’Evêque, 22/2/22 », rédigé en suite aux consultations d’Anne Soupa lors de sa candidature à l’Archevêché de Lyon : https://drive.google.com/file/d/1-bogBVzm2rvKnJjZbmlJrnLWFy3wsM0E/view

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