(sœur Marie-Raphaël)
Ouverture
Charles Delhez nous disait, dimanche dernier, que pour
beaucoup de jeunes d’aujourd’hui, le langage religieux qui est le nôtre est
« de la mythologie et de l’ésotérisme ». Dont acte. Et si c’était une
bonne nouvelle ? Quand on dit « mythologique », on
sous-entend : « pas vrai » … un peu comme on dirait :
« c’est de la poésie… donc pas sérieux ». Mais qu’est-ce qu’un mythe,
qu’est-ce que la poésie ? Ils relèvent du même langage, qui n’est pas un
langage à prétention scientifique, mais un langage qui suggère, qui passe par
des symboles et des images pour pointer vers une signification au-delà des
mots. Pour dire l’origine du monde et de l’homme, le langage scientifique passe
par l’histoire, l’archéologie, la paléontologie, la cosmologie… mais il reste
toujours des questions. La philosophie n’a pas non plus la prétention de donner
les réponses. La philosophie est l’art de poser des questions. Le mythe et la
poésie peuvent prendre le relais pour évoquer, suggérer, sans jamais enfermer
le sens. Devant les origines, comme devant la fin, nous ne pouvons que rester
humbles, accepter de ne pas savoir, de ne pas mettre la main sur l’arbre de la
connaissance…
Résonances
Ce texte me pose une énigme. Et l’actualité récente
m’a donné une piste pour mieux la comprendre. Pourquoi, après avoir dit à
l’homme qu’il devait / pouvait manger de tous les arbres du jardin, Dieu lui
interdit-il l’arbre de la connaissance du bien et du mal ? Alors, tu
donnes tout ou tu donnes pas tout ?
Une première étape de la réponse consiste à réfléchir
sur le « tout » et le manque. Comme l’écrit André Wénin[1], l’homme doit manger pour
vivre, mais il doit aussi s’arrêter de manger pour vivre. Pas seulement pour ne
pas mourir de boulimie, mais aussi pour garder la possibilité d’une relation à
l’autre, dans le partage. En instituant une limite, Dieu permet la relation. On
constate cette habitude chez Dieu : quand il donne, il donne « tout
sauf tout » (l’expression est de Paul Beauchamp), afin de ne pas nous
enfermer dans le piège de la saturation. C’est aussi le principe du
sabbat : il importe de laisser une ouverture au temps.
Mais il y a autre chose à découvrir derrière l’énigme
du verset 17 : « l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu
n’en mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu mourras ». Et si
l’interdit ne portait pas sur l’arbre, mais sur le fait de
« manger » ?
Qu’est-ce que manger ? Absorber une nourriture
pour la transformer en une énergie qui va faire vivre mon organisme. Il y a une
forme de violence dans l’acte de manger, car je détruis la nourriture pour
l’assimiler… Or, la « connaissance » n’est pas une nourriture que je
pourrais faire mienne, mettre à mon service, soumettre. La connaissance, le
savoir, est une forme de pouvoir. Connaître les choses, connaître
l’autre, est une forme d’emprise : c’est une arme à deux
tranchants. On peut connaître le bien et le mal, on peut aussi connaître bien
et mal : c’est une traduction possible de l’hébreu, en prenant les mots
« bien » et « mal » dans un sens adverbial : bien
connaître ou mal connaître.
En outre, dans le langage biblique, le verbe
« connaître » est une des façons de désigner la rencontre sexuelle.
Je fais le lien avec l’actualité et ce qui s’est passé à partir de la déviance
mystique des frères Thomas et Marie-Dominique Philippe et Jean Vanier. Au nom
d’une « connaissance » particulière, privilégiée, secrète, ils ont
exercé une emprise, non seulement sur les esprits, mais aussi sur les corps, en
déviant totalement la sexualité de sa dignité propre. Ils ont voulu
« manger » l’arbre de la connaissance…
Non, l’arbre du connaître bien et mal ne se mange pas.
Mais il n’est pas interdit. Si on le mange, on s’engage dans une logique
d’emprise qui mène à la mort. Le mythe suggère qu’il y a à découvrir un autre
rapport avec ce don de Dieu : un rapport de respect, d’accueil, de
patience, qui donne à la connaissance (y compris dans sa connotation sexuelle)
une vraie beauté. Car le message du récit des origines est tout de même que
tout ce que Dieu a fait est « beau ». Dieu nous donne la liberté de
le découvrir par nous-mêmes, il nous fait confiance, il en appelle à notre
intelligence. La suite du récit biblique montrera que c’est un vrai défi !
Prière du pape François : Prière chrétienne avec la création : Laudato
si, 246.
Nous te
louons, Père, avec toutes tes créatures,
qui sont sorties de ta main puissante.
Elles sont tiennes, et sont remplies de ta présence comme de ta tendresse.
Loué sois-tu.
Fils de Dieu, Jésus, toutes choses ont été créées par toi.
Tu t’es formé dans le sein maternel de Marie, tu as fait partie de cette terre,
et tu as regardé ce monde avec des yeux humains.
Aujourd’hui tu es vivant en chaque créature avec ta gloire de ressuscité.
Loué sois-tu.
Esprit-Saint, qui par ta lumière orientes ce monde vers l’amour du Père
et accompagnes le gémissement de la création, tu vis aussi dans nos cœurs
pour nous inciter au bien.
Loué sois-tu.
Ô Dieu, Un et Trine, communauté sublime d’amour infini,
apprends-nous à te contempler dans la beauté de l’univers, où tout nous parle
de toi.
Éveille notre louange et notre gratitude pour chaque être que tu as créé.
Donne-nous la grâce de nous sentir intimement unis à tout ce qui existe.
Dieu d’amour, montre-nous notre place dans ce monde
comme instruments de ton affection pour tous les êtres de cette terre,
parce
qu’aucun n’est oublié de toi.
Illumine les détenteurs du pouvoir et de l’argent pour qu’ils se gardent du
péché de l’indifférence, aiment le bien commun, promeuvent les faibles, et
prennent soin de ce monde que nous habitons.
Les pauvres et la terre implorent : Seigneur, saisis-nous par ta puissance et
ta lumière
pour protéger toute vie, pour préparer un avenir meilleur, pour que vienne
ton Règne de justice, de paix, d’amour et de beauté.
Loué sois-tu.
Amen
[1] A. Wénin, Pas seulement de pain...
Violence et alliance dans la Bible, Cerf, 1998, en particulier les deux
premiers chapitres…
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