vendredi 21 août 2015

Fontaines sans eau



2P 2, 9-19


Le texte (traduction de la Bible de Jérusalem) :
« 9 C'est que le Seigneur sait délivrer de l'épreuve les hommes pieux et garder les hommes impies pour les châtier au jour du Jugement,
 10 surtout ceux qui, par convoitise impure, suivent la chair et méprisent la Seigneurie. Audacieux, arrogants, ils ne craignent pas de blasphémer les Gloires,
 11 alors que les Anges, quoique supérieurs en force et en puissance, ne portent pas contre elles devant le Seigneur de jugement calomnieux.
 12 Mais eux sont comme des animaux sans raison, voués par nature à être pris et détruits ; blasphémant ce qu'ils ignorent, de la même destruction ils seront détruits eux aussi,
 13 subissant l'injustice comme salaire de l'injustice. Ils estiment délices la volupté du jour, hommes souillés et flétris, ils mettent leur volupté à vous tromper, en faisant bonne chère avec vous.
 14 Ils ont les yeux pleins d'adultère et insatiables de péché, ils allèchent les âmes mal affermies, ils ont le cœur exercé à la cupidité, êtres maudits !
 15 Après avoir quitté la voie droite, ils se sont égarés en suivant la voie de Balaam, fils de Bosor, qui chérit un salaire d'injustice
 16 mais qui fut repris de son méfait. Une monture sans voix, avec une voix humaine, arrêta la démence du prophète.
 17 Ce sont des fontaines sans eau et des nuages poussés par un tourbillon ; l'obscurité des ténèbres leur est réservée.
 18 Avec des discours gonflés de vide, ils allèchent, par les désirs charnels, par les débauches, ceux qui venaient à peine de fuir les gens qui passent leur vie dans l'égarement.
 19 Ils leur promettent la liberté, mais ils sont eux-mêmes esclaves de la corruption, car on est esclave de ce qui vous domine »

Prière (suggérée par Enzo Bianchi) :
« Notre Dieu, Père de la Lumière, tu as envoyé dans le monde ton Fils, Parole faite chair, pour te manifester à nous, les hommes.
Envoie maintenant sur moi ton Esprit Saint, afin que je puisse rencontrer Jésus-Christ dans cette Parole qui vient de toi ; afin que je la connaisse plus profondément et que, en la connaissant, je l’aime plus intensément pour parvenir ainsi à la béatitude du Royaume. Amen »

Lecture verset par verset :
Rappelons que la seconde épître de Pierre est destinée à des judéo-chrétiens en milieu païen.
Le début de l’extrait nous met devant les yeux deux types d’hommes : ceux qui, hommes droits, sont arrachés à l’épreuve et des injustes, châtiés au jour du jugement.

(v. 9) « C'est que le Seigneur sait délivrer de l'épreuve les hommes pieux et garder les hommes impies pour les châtier au jour du Jugement »
Ce verset 9 est la conclusion de ce qui précède. St Pierre y évoquait deux hommes sauvés par Dieu : Noé, « héraut de justice » et Lot, « le juste ». L’un et l’autre apparaissent dans la Genèse[1] : « Lot face à Sodome et Gomorrhe joue le même rôle que Noé face au déluge : il illustre la volonté de Dieu de sauver de l’épreuve les hommes droits ».
La conclusion de Pierre, quoique traditionnelle, est rassurante : Dieu est un Dieu sauveur[2]. L’épreuve dont il est question ne désigne vraisemblablement pas un événement ponctuel, mais la confrontation au mal et à l’injustice, dont les deux justes, Noé et Lot, furent préservés.
En lien avec cette épreuve, nous pouvons citer le verset du Notre-Père : « Ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal » (Mt 6, 13).
Il en va de même pour nous : si nous sommes capables de rester fidèles, c’est grâce à l’aide de Dieu !

Les versets suivants développent la description de cette deuxième catégorie d’hommes, celle des injustes, des « faux docteurs ». Et Pierre n’est pas peu prolixe :
(v. 10a) « ceux qui, par convoitise impure, suivent la chair et méprisent la Seigneurie… »
Les premiers reproches que Pierre leur adresse sont leur soumission à la chair (leur maître est le sexe) et leur mépris de la « Seigneurie » (c’est-à-dire de Dieu).
Ainsi, ils montrent qu’ils ont choisi un autre maître : non Dieu mais le plaisir charnel.

(v. 10b) « … audacieux, arrogants, ils ne craignent pas de blasphémer les Gloires »
Les reproches ici évoqués sont la suffisance et le mépris.
Les « Gloires » dont il est fait mention, semblent être « une catégorie de mauvais anges, d’anges déchus, condamnés par le jugement de Dieu »[3].
L’attitude que Pierre dénonce est de se mettre au-dessus des anges, au-dessus de Dieu.

(v. 11) « alors que les Anges, quoique supérieurs en force et en puissance, ne portent pas contre elles devant le Seigneur de jugement calomnieux »
Dans la même ligne que le verset précédent, Pierre dénonce les agissements des faux docteurs : ils prononcent des jugements, ce qui est l’apanage de Dieu et, peut-être aussi, nient l’existence des anges.

(v. 12) « Mais eux sont comme des animaux sans raison, voués par nature à être pris et détruits ; blasphémant ce qu'ils ignorent, de la même destruction ils seront détruits eux aussi »
En ce verset, Pierre les compare aux animaux qui n’ont pas de raison, soumis à leur instinct.
Bien plus, leur destruction est annoncée : destinés à être chassés et tués par les hommes, ils n’accéderont pas à la vie éternelle, mais à l’anéantissement.

(v. 13a) « subissant l'injustice comme salaire de l'injustice… »
Comme une sorte de conclusion, le mal commis sera leur salaire.

(v. 13b-14) « Ils estiment délices la volupté du jour, hommes souillés et flétris, ils mettent leur volupté à vous tromper, en faisant bonne chère avec vous. Ils ont les yeux pleins d'adultère et insatiables de péché, ils allèchent les âmes mal affermies, ils ont le cœur exercé à la cupidité, êtres maudits ! »
La polémique contre les faux docteurs se poursuit : l’attaque vise le goût du plaisir, surtout sexuel, et la convoitise de l’argent.
En appelant leurs repas « volupté du jour », ils s’opposent aux mœurs orientales où le repas principal se prenait le soir. Faire bonne chère en plein jour manifeste une liberté provocatrice par rapport aux lois communes…
Ajoutons que ces hérétiques entraînent avec eux des membres de la communauté, destinataires de cette lettre (« en faisant bonne chère avec vous »), qu’ils se plaisent à tromper.
Au verset 14, l’Apôtre renforce la double critique : la dépravation sexuelle et la cupidité.
L’expression « âmes mal affermies » désigne des personnes fragiles spirituellement, peu sûres de leur foi, probablement des nouveaux convertis.

(v. 15-16) « Après avoir quitté la voie droite, ils se sont égarés en suivant la voie de Balaam, fils de Bosor, qui chérit un salaire d'injustice, mais qui fut repris de son méfait. Une monture sans voix, avec une voix humaine, arrêta la démence du prophète »
Pour concrétiser l’accusation de cupidité, Pierre cite un personnage du Premier Testament : Balaam, fils de Bosor ou de Béor. C’est un prophète qui, dans le livre des Nombres, fut mandaté par Balak, le roi de Moab, pour maudire Israël. Il existe plusieurs traditions, plus ou moins élogieuses de Balaam, mais l’interprétation juive en a fait le type de l’adversaire d’Israël, cupide et idolâtre.
Quant à son ânesse, elle souligne la bêtise du prophète, puisqu’adoptant une voix humaine, c’est elle qui ouvre les yeux du prophète.

(v. 17) « Ce sont des fontaines sans eau et des nuages poussés par un tourbillon ; l'obscurité des ténèbres leur est réservée »
A présent, c’est le reproche de la stérilité, comme une « fontaine sans eau » et de l’improductivité, comme « un nuage poussé par un tourbillon », dont on espère la pluie, mais qui déçoit également.

(v. 18-19) « Avec des discours gonflés de vide, ils allèchent, par les désirs charnels, par les débauches, ceux qui venaient à peine de fuir les gens qui passent leur vie dans l'égarement. Ils leur promettent la liberté, mais ils sont eux-mêmes esclaves de la corruption, car on est esclave de ce qui vous domine »
Enfin, ces derniers versets stigmatisent la vacuité des discours des faux docteurs. Pierre les fustige d’autant plus qu’ils réussissent à enrôler certains croyants, probablement des néophytes. Il y a tromperie car on leur promet « la liberté », entendons la liberté sexuelle et, sous couvert de liberté, on les asservit… Selon la deuxième épître de Pierre, cette liberté révèle plutôt un « asservissement aux forces instinctives mortifères »[4].

Dans son épître, Pierre nous propose un double portrait : deux types d’hommes contrastés, d’un côté, ceux que Dieu peut « délivrer de l'épreuve » et, de l’autre, « châtier au jour du Jugement ». Le thème des deux voies, comme image de notre liberté, est fréquente dans la Bible. Nous, lecteurs du 21e siècle, nous pouvons nous poser la question de la liberté, puisque Jésus nous y invite : « Si donc le Fils vous libère, vous serez réellement libres » (Jn 8, 36).
Il nous confronte à notre liberté, mais aussi à notre responsabilité… Mais de quelle liberté s’agit-il ? Qui souhaitons-nous servir ? De qui désirons-nous être les disciples ?


Prière :
Seigneur, par cette lettre datée du 1er siècle, tu t’adresses à chacun de nous…
Tu nous interpelles, tu nous poses question, tu nous invites à la vigilance. Oserons-nous faire le pari de la foi, le saut de la confiance, pour te suivre ? Car « le Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un modèle afin que vous suiviez ses traces » (1P 2, 21).
Pour que nous écoutions ta voix et suivions tes chemins, envoie, Seigneur, ton Esprit !




[1] Gn 9 pour Noé ; Gn 19 pour Lot. Notons que Lot n’est pas présenté comme « juste » dans la Gn, mais dans le livre de la Sagesse (10, 6).
[2] Cfr Ps 33, 7 : « Un pauvre crie. Le Seigneur entend. Il le sauve de toutes ses angoisses ».
[3] Même emploi en 2, 4 : « Car si Dieu n'a pas épargné les Anges qui avaient péché, mais les a mis dans le Tartare et livrés aux abîmes de ténèbres, où ils sont réservés pour le Jugement… ».
[4] Pour aller plus loin, voir le commentaire suivant : Er. FUCHS – P. REYMOND, La deuxième épître de Pierre2, Genève, Labor et Fides, 1988. Je m’en suis largement inspirée pour ce partage.

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