Liturgie de la Parole 4ème samedi de carême, 5 avril 2025
Méditation
Si quelqu’un vient vous dire quelque chose de sensé qui vous remet en question, la meilleure façon de vous en débarrasser est de le tourner en ridicule. Et si cela se fait en public, c’est encore plus fort. Aujourd’hui, ce genre de scène peut faire le tour du monde en un instant grâce aux réseaux sociaux. Aujourd’hui, la formation de l’opinion du public joue à fond sur ces mécanismes de polarisation (pour ou contre) et de prise de position émotionnelle, ne tenant plus compte de la vérité, du bon sens, de la vérification.
Aujourd’hui, à la fin de l’évangile, nous entendrons quelqu’un de courageux qui essaie de s’opposer à l’opinion imposée par les plus forts. Nicodème…
Le chapitre 7 de Jean : un long chapitre qui se déroule sur une semaine : la fête des Tentes. On peut le lire à partir de plusieurs fils rouges : la question de « l’heure » de Jésus (« son heure n’était pas encore venue »), la prudence de Jésus et sa façon de sortir de l’ombre très progressivement, la façon dont se forme l’opinion à son sujet, le rôle des influenceurs, le rôle de Nicodème qui intervient tout à la fin du chapitre.
Jésus parle de plus en plus ouvertement. Les discussions à son sujet sont, elles aussi, de plus en plus ouvertes, les objections se font dès lors aussi de plus en plus virulentes… et de moins en moins rationnelles.
Je me pose la question : que vient faire Nicodème dans ce récit ? Que se serait-il passé s’il n’avait pas parlé ?
Seul l’évangile de Jean parle de Nicodème : à trois places : au chapitre 3 (long dialogue avec Jésus, de nuit), ici, et au chapitre 19, lors de la mise au tombeau. Nicodème nous est sympathique, parce que nous lui ressemblons. Il se pose des questions, il est dérouté et séduit, mais il n’ose pas sortir de l’ombre tout de suite. L’évangéliste ne nous dit pas pourquoi : nous pouvons donc combler ce vide narratif, en imaginant le débat intérieur qui doit être le sien et qui grandit au fur et à mesure du récit. De Nicodème, nous savons qu’il était un pharisien et un notable parmi les Juifs (Jn 3, 1). Ici, le narrateur prend la peine de préciser encore qu’il était « l’un d’entre eux » (un pharisien).
Je reviens à ma question : que se serait-il passé si Nicodème n’avait pas parlé ?
Parce qu’il est pharisien, il ouvre une brèche dans la conscience du bloc hermétique que forment les grands prêtres et les pharisiens. Il ne s’oppose pas, il ne fait que poser une question, il est prudent, mais parce que sa question est pleine de sens et que les autres s’en trouvent déstabilisés, ils le ridiculisent pour le faire taire. Qu’est-ce que ça change ?
- Ça change pour lui, parce que s’il n’avait rien dit, il n’aurait pas été humilié, mais le fait d’avoir connu cette humiliation va le faire évoluer : ce choc va peu à peu le transformer de l’intérieur et l’aider plus tard à sortir de l’ombre.
- Ça change pour le groupe des Pharisiens, qui est désormais fissuré… et qui va se trouver devant la tentation de se durcir…
- Ça change pour les simples gens qui sont témoins de cela et pour qui c’est important de voir que même un Pharisien est capable de se remettre en question.
- Ça change pour Jésus, c’est peut-être une consolation pour lui, un signe d’espérance. Je pense qu’il aime Nicodème, tout comme il a aimé le jeune homme riche. Mais son heure (celle de Nicodème, la sienne) n’est pas encore venue.
- Qu’est-ce que ça change pour nous, pour moi ? Comment est-ce que je me fais une opinion ? Qu’est-ce qui domine en moi ? La peur de la persécution ? La peur du ridicule ? Ou le courage de la nuance ?
L’évangéliste nous donne la figure de Nicodème pour nous aider à cheminer dans ces questions.
Sr Marie Raphaël
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