(Raymond)
Introduction : Tendresse de Dieu
Certains
jours plus que d’autres j’entends les cris du psalmiste; les cris de tant d’hommes et de femmes en
pleine détresse morale et physique.
J’en
ai vraiment assez de ce monde où sont rejetés les plus déshérités, où l’on
piétine les aigris, les ratés, ceux à qui l’on n’a pas su apprendre à aimer. Judas
qu’as-tu donc à me dire ce soir ? J’entends tes déceptions, tes
désillusions, tes principes bafoués, ton envie de liberté. De quoi as-tu donc
rêvé ?
Idées
craquelées, temps de l’angoisse, lieux de la nuit, j’accepte de t’écouter, de
te rejoindre dans tes questions mille fois posées.
Bonté
partagée, Tendresse exprimée, Pardon sans cesse donné, Amour aux mille facettes
raconté pour embraser le monde, cela n’a pas suffit à te combler !
Aujourd’hui je sens ton cœur palpiter, vaciller dans ce vide insoupçonné. Ton rêve s’est écroulé et tu crois ta vie brisée. Ce soir tu parles, tu me parles et tu pleures.
Dernier assaut de ma tendresse
pour toi, du lieu de ces souffrances qui te taraudent, je dépose ma vie sur une
croix.
Une
main fébrile t’entraîne de l’autre côté, je te sens peu sécurisé, seul,
abandonné. Dans l’obscurité j’éclaire ta nuit, je crois pour toi, je reste avec
toi. Je suis venu pour te sauver.
Difficile
de ne pas entendre résonner en nous cette parole de Jésus alors qu’il était à
table avec les Douze : « Amen, je vous le dis : l’un de
vous va me livrer. »
Je
vais sans doute en étonner quelques-uns(e)s : j’aime beaucoup Judas. C’est un véritable frère, miroir de notre
humanité, fragile à l’extrême. Ce n’est
sans doute pas un hasard si je suis
plongé au cœur de cette précarité la plus profonde et cela m’invite à
regarder ce qui se passe à l’intérieur de moi plutôt qu’à écouter ce qui se dit
à l’extérieur !
La
personne humaine est un profond mystère mais il y a quelque chose qui est
révélé dans notre identité personnelle et collective. Je dis collective parce
qu’à force d’interagir, nous finissons par construire des identités
collectives… d’où cette intuition profonde à ne pas me départir de Judas.
Je
vous propose quelques pistes de réflexions qui permettent de rester en lien
avec Judas et tous ceux et celles que nous jugeons infréquentables et
foncièrement mauvais. Pour ce faire j’aimerais aborder très succinctement la
question de la liberté, puis de la conscience et de la responsabilité par
rapport aux actes que nous posons. Une
prise de conscience des principes de base qui évitent de tomber dans le
jugement et les raccourcis faciles :
-
La
liberté : Jésus ne fait pas le tri. «Viens,
et suis-moi» est une invitation adressée à tous, sans restriction. Je n’ai
pas l’impression que Jésus ait attiré à lui des disciples en fonction de leur
capacité. Non. C’est une adhésion personnelle libre et gratuite. Ce que nous
appelons ‘’libre-arbitre’’ est une découverte chrétienne défini comme capacité
à dire « non » à Dieu et donc d’être à la source radicale de nos
actes. La liberté est une présence à soi et c’est pour cette raison qu’elle est
une conscience morale acculée à se demander ce qui est bon pour soi et pour les
autres. Nous sommes dotés d’une capacité à résister aux influences extérieures.
Il faut donc une grande prudence dans les
jugements que nous portons les uns sur les autres. Cela implique une confiance en l’autre. Je ne connais ses intentions que par ce qu’il
veut bien m’en dire, s’il dit quelque chose, et je dois lui faire confiance.
Le monde où vivent les criminels est notre monde. Nous pouvons tous devenir des criminels. Nous ne sommes pas tous capables de tout mais nous sommes chacun capable de telle forme particulière de crime. Nous n’avons pas tous commis de grandes atrocités mais nous avons tous commis de petites lâchetés quotidiennes. Nos mini lâchetés du quotidien nous font déjà complices. Il est facile de se classer soi-même parmi les ‘’purs’’ assurés de ne jamais devenir comme eux. Mais si l’autre et moi sommes libres, alors je peux faire ce qu’il fait. Il est très dangereux de se croire immunisé contre le crime. Cette solidarité s’inverse positivement : Je sais que celui qui a posé des actes odieux est encore capable de se convertir, de revenir au bien.
Cette responsabilité s’enracine dans le procès
du Christ. Jésus est l’innocent parfait.
Le procès qui l’a condamné à mort est ignoblement truqué. L’Evangile souligne
l’irresponsabilité des assassins : Pilate se lave les mains ; Caïphe
déclare : « Il vaut mieux qu’un seul homme meurt pour le peuple et que
l’ensemble de la nation ne périsse pas ». Jésus a accepté de répondre de nos
crimes. Jésus a fait tout cela tout au
long de sa vie. Il n’a cessé de
s’entourer de pécheurs, de criminels. Et il s’en est vanté comme d’un élément
essentiel de sa mission : « Ce sont les malades qui ont besoin de
médecins, je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs »
Il réclame sans cesse que nous choisissions. Il met chacun
devant sa liberté en demandant : « Qui dis-tu que je
suis ? », « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Nous sommes plus que jamais invités à
répondre librement, en conscience et de manière responsable à travers les actes
que nous posons.
Nicolas,
Eddy, Giovanni, Saïd, Pauline, Mélanie… et toi aussi Judas, vous êtes entrés
dans ma vie avec toute la détresse de votre histoire, toute la violence de
votre misère. Suicide, viol, défonce, folie, trahison, lourd partage de la
nuit !
Au fil
des rencontres, vous me l’avez appris, le bois mort est fait pour brûler. C’est l’aubier, ce corps si fragile qui brûle ;
le cœur se consume et se tord de
douleur.
Et
pourtant
L’espérance
a jailli, fugace, telle une flamme qui perce la nuit.
Il
nous arrive parfois, miracle de la vie, que chante et crépite le don du Vent
dans les braises : La Vie est plus forte que la mort ! La Vie est
plus forte que la mort ! La Vie est plus forte que la mort….
Bienheureux serez-vous si vous avez l’audace d’approcher
ce brasier… car oui, ses flammes perceront
vos nuits.