vendredi 19 décembre 2014

Je fais confiance à Dieu



Ac 27, 1-26


Le texte (traduction : Bible de Jérusalem) :
« 1 Quand notre embarquement pour l'Italie eut été décidé, on remit Paul et quelques autres prisonniers à un centurion de la cohorte Augusta, nommé Julius.
 2 Nous montâmes à bord d'un vaisseau d'Adramyttium qui allait partir pour les côtes d'Asie, et nous prîmes la mer. Il y avait avec nous Aristarque, un Macédonien de Thessalonique.
 3 Le lendemain, nous touchâmes à Sidon. Julius fit preuve d'humanité à l'égard de Paul en lui permettant d'aller trouver ses amis et de recevoir leurs bons offices.
 4 Partis de là, nous longeâmes la côte de Chypre, parce que les vents étaient contraires.
 5 Traversant ensuite les mers de Cilicie et de Pamphylie, nous arrivâmes au bout de quinze jours à Myre en Lycie.
 6 Là, le centurion trouva un navire alexandrin en partance pour l'Italie et nous fit monter à bord.
 7 Pendant plusieurs jours la navigation fut lente, et nous arrivâmes à grand-peine à la hauteur de Cnide. Le vent ne nous permit pas d'aborder, nous longeâmes alors la Crète vers le cap Salmoné,
 8 et après l'avoir côtoyée péniblement, nous arrivâmes à un endroit appelé Bons-Ports, près duquel se trouve la ville de Lasaïa.
 9 Il s'était écoulé pas mal de temps, et la navigation était désormais périlleuse, car même le Jeûne était déjà passé. Paul les en avertissait :
 10 " Mes amis, leur disait-il, je vois que la navigation n'ira pas sans péril et sans grave dommage non seulement pour la cargaison et le navire, mais même pour nos personnes. "
 11 Le centurion se fiait au capitaine et à l'armateur plutôt qu'aux dires de Paul ;
 12 le port se prêtait d'ailleurs mal à l'hivernage. La plupart furent donc d'avis de partir et de gagner, si possible, pour y passer l'hiver, Phénix, un port de Crète tourné vers le sud-ouest et le nord-ouest.
 13 Un léger vent du sud s'étant levé, ils se crurent en mesure d'exécuter leur projet. Ils levèrent l'ancre et se mirent à côtoyer de près la Crète.
 14 Mais bientôt, venant de l'île, se déchaîna un vent d'ouragan nommé Euraquilon.
 15 Le navire fut entraîné et ne put tenir tête au vent ; nous nous abandonnâmes donc à la dérive.
 16 Filant sous une petite île appelée Cauda, nous réussîmes à grand-peine à nous rendre maîtres de la chaloupe.
 17 Après l'avoir hissée, on fit usage des engins de secours : on ceintura le navire ; puis, par crainte d'aller échouer sur la Syrte, on laissa glisser l'ancre flottante. On allait ainsi à la dérive.
 18 Le lendemain, comme nous étions furieusement battus de la tempête, on se mit à délester le navire
 19 et, le troisième jour, de leurs propres mains, les matelots jetèrent les agrès à la mer.
 20 Ni soleil ni étoiles n'avaient brillé depuis plusieurs jours, et la tempête gardait toujours la même violence ; aussi tout espoir de salut était-il désormais perdu pour nous.
 21 Il y avait longtemps qu'on n'avait plus mangé ; alors Paul, debout au milieu des autres, leur dit : " Il fallait m'écouter, mes amis, et ne pas quitter la Crète ; on se serait épargné ce péril et ce dommage.
 22 Quoi qu'il en soit, je vous invite à avoir bon courage, car aucun de vous n'y laissera la vie, le navire seul sera perdu.
 23 Cette nuit en effet m'est apparu un ange du Dieu auquel j'appartiens et que je sers,
 24 et il m'a dit : "Sois sans crainte, Paul. Il faut que tu comparaisses devant César, et voici que Dieu t'accorde la vie de tous ceux qui naviguent avec toi. "
 25 Courage donc, mes amis ! Je me fie à Dieu de ce qu'il en sera comme il m'a été dit.
 26 Mais nous devons échouer sur une île " ».

Prière (suggérée par Enzo Bianchi) :
« Notre Dieu, Père de la Lumière, tu as envoyé dans le monde ton Fils, Parole faite chair, pour te manifester à nous, les hommes.
Envoie maintenant sur moi ton Esprit Saint, afin que je puisse rencontrer Jésus-Christ dans cette Parole qui vient de toi ; afin que je la connaisse plus profondément et que, en la connaissant, je l’aime plus intensément pour parvenir ainsi à la béatitude du Royaume. Amen »

Lecture verset par verset :
Les péripéties de Paul se poursuivent. Au fil de ses aventures, il se rapproche de plus en plus de la destination qu’il avait réclamée, à savoir se rendre à Rome pour être jugé par la juridiction impériale comme citoyen romain (25, 21.25) et pour rendre un témoignage, selon la Parole de Dieu[1].
Le début de notre extrait coïncide avec la montée sur un bateau, en direction des côtes d’Asie.
A l’époque, la navigation par mer représentait la voie la plus usitée pour le commerce, mais en-dehors des mois d’hiver, où elle était totalement arrêtée[2]. En plus du fret, les marins transportaient des passagers. Parmi eux, se trouvait Paul.

Au cours de ce récit plein de couleurs, on est frappé par l’insistance du narrateur sur ceux qui conduisent l’action. A bord du bateau, ce sont les vents (v. 4.7.14) ou la tempête (v. 18.20) qui tiennent la barre du capitaine. A ceux-là s’ajoute une « petite brise du sud » (v. 13) qui leur laisse croire que la navigation est possible : leur confiance est trompée, car un « vent d’ouragan » les emporte.
Au creux de ce périple maritime, Paul prend deux fois la parole. D’abord, au verset 10, selon les mots du narrateur, Paul « voulut donner son avis ». Le contenu de son intervention est centré sur lui-même : « J’estime… ». Et son conseil n’est pas pris en compte, pas plus que celui de la soi-disant « majorité » (v. 12)[3].
Mais ensuite, une deuxième intervention de Paul, « debout, au milieu d’eux », évoque un nouvel acteur dans la traversée (v. 21-26) : il rapporte l’intervention d’un « ange du Dieu auquel il appartient et qu’il sert ». Lorsque Paul dévoile l’avenir et sa future comparution devant César, indiquée par l’impersonnel « il faut »[4], lorsqu’il annonce que Dieu lui accorde la vie de ses compagnons de traversée, il atteste que Dieu tient le gouvernail de ce navire-là et que les vents et l’orage peuvent se déchaîner, mais ne peuvent contrecarrer le dessein divin. Paul « fait confiance à Dieu » et entraîne ses compagnons dans son sillage.
Nous pouvons conjecturer que Paul est intervenu en faveur de ceux qui l’accompagnent. Si Dieu leur « accorde aussi la vie », on peut supposer que la prière de Paul a intercédé pour eux. Le narrateur prouve ici l’efficacité de la prière d’intercession, même quand « tout espoir d’être sauvés échappe désormais » (v. 20). De plus, on ne peut se sauver tout seul…

Une telle conjoncture peut nous interpeller : qui mettons-nous au gouvernail de notre vie ? Choisissons-nous réellement notre capitaine ou nous laissons-nous ballotter par tous les vents ? Paul nous invite à la confiance qui pourra sauver, non seulement nous-mêmes mais d’autres compagnons de la traversée de notre vie. Les tempêtes et les orages peuvent certes secouer notre vie, mais ils ne pourront jamais atteindre nos profondeurs, le lieu préservé de la Présence de Dieu en chacun(e) de nous…

En corollaire, on peut se poser la question du moment de l’intervention de Dieu. Après un si long récit, avec maints flux et reflux, on peut s’étonner que Dieu ne soit pas intervenu plus tôt. Pourquoi n’a-t-il pas empêché ce déchaînement des vents et orages ? Peut-être laisse-t-il l’homme agir, déployer ses efforts, ses capacités, son intelligence… et n’intervient-il que pour le sauver lorsque les ressources humaines sont résolument insuffisantes ?
Veut-il peut-être nous redire qu’Il n’est pas un Dieu magicien, mais un Dieu qui rend l’homme collaborateur de son œuvre et partenaire de sa propre vie ? Un Dieu qui laisse l’homme agir, tout en le soutenant de sa présence tantôt mystérieuse, tantôt plus manifeste…


Prière :
Seigneur, sur le bateau de notre vie, nous pouvons parfois sentir des vagues et des vents, des orages et des brises légères qui nous secouent et nous font dériver. Mais Tu es là, jour après jour, dans toutes nos traversées, paisibles ou tempétueuses. Il ne tient qu’à nous de te confier le gouvernail de ce bateau qui est nôtre. Alors, la sérénité adviendra pour notre embarcation et pourra atteindre ceux et celles que nous rencontrerons… Amen
Sr Marie-Jean

[1] Cfr Ac 23, 11 : « La nuit suivante, le Seigneur vint le trouver et lui dit : ‘Courage ! De même que tu as rendu témoignage de moi à Jérusalem, ainsi faut-il encore que tu témoignes à Rome…’ ».
[2] Telle est l’allusion du v. 9 : « la navigation était désormais périlleuse, car même le Jeûne était déjà passé ». Le jeûne est celui de la mi-septembre, après la fête du Grand Pardon (la fête juive du Yom Kippur).
[3] La suite du récit (v. 37) indique le nombre de passagers : 276 personnes ! La décision prise ne doit certainement pas être attribuée à un vote démocratique, mais plutôt à la décision de quelques spécialistes (cfr v. 11).
[4] L’expression est employée maintes fois dans les Evangiles pour les nécessités d’ordre divin. Par exemple, les annonces de la Passion, de la mort et de la Résurrection de Jésus : « Il faut, disait-il, que le Fils de l'homme soit livré aux mains des pécheurs, qu'il soit crucifié, et qu'il ressuscite le troisième jour » (Lc 24, 7).

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