Liturgie de la Parole 15e samedi TO-I
Évangile : Matthieu 12, 14-21)
Homélie
Les personnes qui ont pris le risque de s'inscrire pour la retraite qui a commencé hier soir entendront encore cet évangile jeudi prochain. Pour éviter de les fatiguer, je ne vais donc pas en dire maintenant ce que j'en dirai alors. Aujourd'hui, je voudrais simplement m'arrêter sur un mot difficile à bien traduire, parce qu'il est trop riche. Matthieu applique à Jésus quelques lignes du prophète Isaïe, dont ces mots : mon bien-aimé en qui je trouve mon bonheur. L'ancienne traduction disait : mon bien-aimé en qui j'ai mis toute ma joie. Ces mots font écho à ce que la voix du Père a dit de Jésus lors de son baptême : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie.
Cette expression est un peu difficile à traduire, car le mot grec de l'évangile n'a pas en français d'équivalent véritable, ou du moins il n'en a plus. La traduction la plus exacte serait complaisance si ce mot n'était pas devenu péjoratif, si ce mot disait encore, tout à la fois, le plaisir et la bonté. Quand Dieu dit à Jésus qu'il met en lui sa complaisance, son bon plaisir, cela veut dire en même temps : c'est en toi que je mets tout mon amour et c'est de toi que je puise toute ma joie. Les deux traductions sont correctes et insuffisantes, il faudrait pouvoir dire les deux choses en une seule phrase. Et ce serait la phrase que Dieu dit à chacun de nous : mon bonheur est de t'aimer.
Chaque fois qu'on célèbre un baptême, quel que soit l'âge de celui ou de celle qui le reçoit, Dieu lui dit cela. Pour la plupart, nous étions très jeunes quand nous avons reçu le baptême, nous n'avons pas entendu cette parole. Ce n'est pas grave. Quand Dieu dit quelque chose, c'est pour toujours. Cette parole éternelle, nous pouvons l'entendre aujourd'hui et chaque jour de notre vie. Dieu dit à chacun de nous – écoutez bien, il le dit maintenant : "Tu es mon fils chéri, tu es ma fille bien-aimée, en toi je mets tout mon amour."
Il nous dit cela comme il l'a dit à Jésus au bord du Jourdain. Ni plus ni moins. Nous sommes, chacun et chacune, la source de sa joie, comme Jésus. Autant que Jésus. Si nous pouvions entendre et croire que nous sommes la joie de Dieu, Dieu ne serait-il pas davantage la nôtre ?
Vous allez me dire que j'exagère. Moi, avec tous mes défauts, et mes péchés, et mes tristesses, et mes découragements, et mes doutes, et ma dureté de cœur, vous croyez pour du bon que Dieu peut me dire qu'il trouve sa joie en moi, sérieusement, sans se payer ma tête ? Vous osez prétendre qu'il trouve en moi, en vous, en chacun de ses enfants, la joie qu'il trouve en son Fils unique?
J'aime éclairer cette question par une image de Grégoire de Nysse, un évêque du quatrième siècle. Il dit que la ressemblance entre le Christ et son disciple est pareille à celle qui existe entre l'eau et l'eau ; entre l'eau qui jaillit de la source et celle qui, de là, est venue dans l'amphore. Quand je puise de l'eau à la source, je ne risque pas de confondre la source et la cruche que j'y remplis. Elles sont si différentes. Et pourtant, qui nierait que c'est bien la même eau qui coule de la source et qui remplit la cruche ? De la même façon (sans dire que nous sommes des cruches), on ne risque pas de nous prendre pour le bon Dieu. Mais c'est bien de sa vie que nous vivons.
Frère François, moine de Wavreumont 19 juillet 25
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