vendredi 19 février 2016

tout fut confisqué



Tobit 1, 16-20


Le texte (traduction de la Bible de Jérusalem) :
« 16 Aux jours de Salmanasar, j'avais fait souvent l'aumône à mes frères de race,
 17 je donnais mon pain aux affamés, et des habits à ceux qui étaient nus; et j'enterrais, quand j'en voyais, les cadavres de mes compatriotes, jetés par-dessus les remparts de Ninive.
 18 J'enterrai de même ceux que tua Sennachérib. Quand il revint en fuyard de Judée, après le châtiment du Roi du Ciel sur le blasphémateur, Sennachérib, dans sa colère, tua un grand nombre d'Israélites. Alors, je dérobais leurs corps pour les ensevelir; Sennachérib les cherchait et ne les trouvait plus.
 19 Un Ninivite vint informer le roi que j'étais le fossoyeur clandestin. Quand je sus le roi renseigné sur mon compte, que je me vis recherché pour être mis à mort, j'eus peur, et je pris la fuite.
 20 Tous mes biens furent saisis; tout fut confisqué pour le trésor; rien ne me resta, que ma femme Anna, et que mon fils Tobie ».

Prière (suggérée par Enzo Bianchi) :
« Notre Dieu, Père de la Lumière, tu as envoyé dans le monde ton Fils, Parole faite chair, pour te manifester à nous, les hommes.
Envoie maintenant sur moi ton Esprit Saint, afin que je puisse rencontrer Jésus-Christ dans cette Parole qui vient de toi ; afin que je la connaisse plus profondément et que, en la connaissant, je l’aime plus intensément pour parvenir ainsi à la béatitude du Royaume. Amen »

Lecture verset par verset :
Avec le livre de Tobit, nous découvrons un nouveau genre littéraire : celui du roman.
Les versets qui précèdent notre extrait ont précisé qui prend la parole. Il s’agit d’un certain Tobit, de la tribu de Nephtali, qui fut déporté à Ninive, en Assyrie.
On remarquera au cours du livre de nombreuses indications de temps, de lieux, de personnes qui semblent orienter vers une époque précise. En fait, il nous faut en relativiser l’exactitude historique. Si la déportation à Ninive remonte au 8e ou 7e siècle avant Jésus-Christ, la mise par écrit de ce livre date vraisemblablement du 2e siècle.
Quoi qu’il en soit, l’objectif du livre de Tobit est plutôt de nous raconter une histoire, un récit… qui peut certainement nous instruire.

(v. 16-17) « Aux jours de Salmanasar, j'avais fait souvent l'aumône à mes frères de race, je donnais mon pain aux affamés, et des habits à ceux qui étaient nus; et j'enterrais, quand j'en voyais, les cadavres de mes compatriotes, jetés par-dessus les remparts de Ninive »
Tobit poursuit donc le compte-rendu de ses bonnes œuvres : faire l’aumône, nourrir les affamés, vêtir ceux qui sont nus, enterrer les morts… Un tel catalogue est assez typique de la culture juive, où le souci des indigents appartenait à la piété : le livre du Siracide que nous avons lu dernièrement sur ce blog y fait également allusion[1].
Si une telle présentation pourrait être taxée de présomption, il nous semble que Tobit accomplit ces actions avec beaucoup de foi et de cœur. Il incarne plutôt ici une religion authentique.
Ce souci d’ensevelir les morts sera récurrent dans ce livre. Dans la culture juive, l’absence de sépulture est une malédiction[2], qui ne permet pas au défunt de reposer en paix.
La ville de Ninive est le lieu de la prédication du prophète Jonas : c’est sa « méchanceté » qui y est soulignée[3]. Dans notre livre de Tobit, l’idolâtrie retient l’attention, comme l’attestent les versets précédents[4]. A l’opposé des idolâtres, Tobit réaffirme sa foi dans le Dieu d’Israël : « je me souvenais de mon Dieu de tout mon être » (1, 12).
Notons que la liste des bonnes œuvres en faveur du prochain apparaîtra dans le Second Testament, lorsque Jésus évoquera le « Jugement dernier »[5] : Tobit en fut un bon pratiquant avant la lettre.

(v. 18) « J'enterrai de même ceux que tua Sennachérib… Alors, je dérobais leurs corps pour les ensevelir... »
Sous le pouvoir du roi suivant, le souci d’ensevelir ses compatriotes se poursuit chez Tobit. Le roi ne le voit cependant pas d’un bon œil :

(v. 19-20) « Un Ninivite vint informer le roi que j'étais le fossoyeur clandestin. Quand je sus le roi renseigné sur mon compte, que je me vis recherché pour être mis à mort, j'eus peur, et je pris la fuite. Tous mes biens furent saisis; tout fut confisqué pour le trésor; rien ne me resta, que ma femme Anna, et que mon fils Tobie »
Tobit est alors dénoncé, poursuivi, menacé de mort. On le dépouille au profit du trésor royal.
Ce double portrait d’un homme jadis rompu aux bonnes œuvres puis soudain discrédité, dépouillé, malmené rappelle l’histoire de Job, dans le livre qui porte son nom.
L’un et l’autre ne cesseront de clamer leur innocence aux regards des hommes et  à la face de leur Dieu…


Prière :
Seigneur, Tobit a fait preuve de fidélité et de loyauté, sur une terre étrangère, où tant d’autres ont abandonné le chemin de la piété et de la justice : il est une figure d’Espérance qui reflète ton visage[6].
Te fréquenter, Seigneur, nous rend plus humains, nous façonne à ton image.
Pour que notre humanité te révèle, Seigneur, envoie ton Esprit !





[1] « L'eau éteint les flammes, l'aumône remet les péchés » (Si 3, 30) ; « Ne sois pas hésitant dans la prière et ne néglige pas de faire l'aumône » (Si 7, 10). Cfr aussi Si 35, 2 ; 40, 17.24.
Un tel souci apparaît ailleurs dans le Premier Testament. En guise d’exemple, Lv 23, 22 : « Lorsque vous ferez la moisson dans votre pays, tu ne moissonneras pas jusqu'à l'extrême bord de ton champ et tu ne glaneras pas ta moisson. Tu abandonneras cela au pauvre et à l'étranger. Je suis le Seigneur votre Dieu ».
[2] « Il y aura des victimes en ce jour-là, d'un bout de la terre à l'autre; on ne les pleurera pas, on ne les ramassera pas, on ne les enterrera pas. Ils resteront sur le sol en guise de fumier » (Jr 25, 33).
[3] « Lève-toi, lui dit-il, va à Ninive, la grande ville, et annonce-leur que leur méchanceté est montée jusqu'à moi » (Jon 1, 2).
[4] « Tous mes frères, et la maison de Nephtali, eux, sacrifiaient au veau qu'avait fait Jéroboam, roi d'Israël, à Dan, sur tous les monts de Galilée. Bien des fois, j'étais absolument seul à venir en pèlerinage à Jérusalem, pour satisfaire à la loi qui oblige tout Israël à perpétuité… » (Tb 1, 5-6).
[5] « Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir » (Mt 25, 35-36).
[6] « Ce qui m’émeut le plus, c’est le passage de Dieu par les hommes » (Julien Green).

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